Pour ou contre le combisme : une « bataille d’écrivains »

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Entretien écrit avec Yves Bruley, maître de conférence h.d.r. à l’École Pratique des Hautes Études, directeur de France Mémoire


La politique menée par Combes de juin 1902 à janvier 1905 n’opposa pas seulement le camp des « laïques » au camp des « cléricaux ». Elle opposa les républicains entre eux mais aussi les dreyfusistes eux-mêmes : entre les partisans d’une laïcité à tout prix et ceux qui défendaient avant tout la liberté. Si Combes put bénéficier du soutien du romancier Anatole France, la critique fut bien représentée par Charles Péguy, qui voyait dans le combisme un « césarisme en veston ».

Pourquoi parler d’une « bataille d’écrivains » provoquée par la politique d’Émile Combes ?

C’était le titre de l’ouvrage publié en 2003 par le regretté Géraldi Leroy, professeur à l’université d’Orléans, sur les rapports entre littérature et politique sous la Troisième République. Par rapport aux grands débats politiques qui ont mobilisé les écrivains, la particularité du combisme est qu’il n’a pas seulement opposé les cléricaux aux anticléricaux, mais divisé les écrivains républicains eux-mêmes et, plus encore, les dreyfusistes en deux camps. Ceux qui soutenaient Combes et ceux qui estimèrent que sa politique antireligieuse menaçait la liberté et la justice, donc la République. Parmi ces derniers, il faut citer Bernard Lazare, le jeune journaliste juif et athée, qui fut parmi les tout premiers défenseurs de Dreyfus et qui, dès août 1902, dénonce « la déviation du dreyfusisme en démagogie combiste ». Il affirme : « Il faut plus que jamais nous rattacher à la liberté. » 

Quels écrivains défendent la politique d’Émile Combes ?

Il faut surtout citer Anatole France, le grand romancier de la Belle-Époque, dont les opinions antireligieuses irriguent une grande partie de l’œuvre. En 1903, il est aux côtés de Combes à Tréguier pour l’inauguration d’une statue de Renan, devenu la figure de proue du combat contre l’Église. Surtout, en janvier 1904, Anatole France préface l’édition des discours politiques de Combes, sous le titre Une campagne laïque. Sa préface est une charge sans concession contre le « parti noir », c’est-à-dire le clergé. Il incite Combes à poursuivre la lutte contre une « Église des Gaules [qui] a passé à l’étranger », puisqu’elle est dirigée par le pape, à Rome, donc hors de France. En janvier 1905, Anatole France publie coup sur coup un roman, Sur la pierre blanche, qui prophétise entre autres la marginalisation de la papauté, et un petit ouvrage de polémique, L’Église et la République, en soutien au projet combiste de Séparation. Mais Combes doit démissionner quelques jours plus tard.

Et du côté des républicains hostiles à Combes ?

Le cas de Charles Péguy est très intéressant. Journaliste socialiste et dreyfusiste, qui n’est pas encore revenu à la foi chrétienne, Péguy publie régulièrement dans ses Cahiers de la Quinzaine des discours d’hommes politiques qui ont pris leurs distances avec Combes. Waldeck-Rousseau lui-même, qui a cédé le pouvoir à Combes en 1902, dénonce les dérives de son successeur, et Péguy publie son discours. Celui de Clemenceau aussi, en novembre 1903, contre « l’État-roi » : « Je repousse l’omnipotence de l’État laïque parce que j’y vois une tyrannie, disait Clemenceau contre Combes […]. Pour éviter la congrégation, nous faisons de la France une immense congrégation. »

Péguy a-t-il formulé sa propre critique du combisme ?

Il l’a fait en termes saisissants. Dans un texte d’octobre 1905, qui sert de préface au cahier intitulé Notre patrie, Charles Péguy définit le combisme comme un « césarisme en veston ». C’est une référence au césarisme napoléonien, contre lequel toute la Troisième République s’est construite, mais qui est revenue sous une forme « civile » (« en veston »), et cette « forme de césarisme [est] plus dangereuse que toutes les formes antérieures ». Il ajoute cette phrase intemporelle : « La popularité du césarisme fait le plus dangereux aboutissement des démocraties. » Pour Péguy la guerre menée contre l’Église va trop loin, elle dénature le combat des dreyfusistes qui, face à un État tenté par la toute-puissance, s’étaient engagés pour la liberté de conscience, la vérité et la justice. Péguy résumera sa pensée en 1910 par la célèbre formule, qui visait entre autres le combisme : « Tout commence en mystique et finit en politique ».

Comment a-t-il accueilli la loi de 1905 ?

Positivement, car elle n’était pas l’œuvre de Combes mais de Briand ; elle avait été conçue dans un esprit plus libéral. La loi votée est en effet très éloignée du projet que Combes avait préparé en octobre 1904, étrange « séparation » qui aurait laissé à l’État la mainmise sur la vie des cultes. Au contraire, Péguy promeut la loi de 1905, dans la mesure où elle « avait abouti à un premier programme sérieux de liberté mutuelle organisée ; en un mot […] elle n’avait point été combiste, mais beaucoup plus républicaine. »

 

À lire :

Géraldi Leroy, Batailles d’écrivains. Littérature et politique, 1870-1914, Armand Colin, 2003.

Yves Bruley, 1905, la séparation des Églises et de l’État. Les textes fondateurs, Paris, Perrin, coll. « Tempus », 2004.

Yves Bruley, La laïcité française, Paris, Cerf, coll. « Texto », 2015.

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