Vie de Gustave Eiffel

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par Christine Kerdellant, essayiste et romancière, ex-directrice-adjointe de L’Express et rédactrice en chef des Echos.


Gustave Eiffel, né en 1832 à Dijon et mort à Paris en 1923, n’a pas seulement donné son nom au monument payant le plus visité de la planète, à cette Tour de fer puddlé devenue le symbole de Paris dans le monde entier. Il incarne la France industrielle de la fin du XIXe siècle, cette « nation d’ingénieurs » considérée alors comme un pôle unique de créativité et d’innovation. Auto, avion, cinéma, tout n’est-il pas inventé par des Français ? La Tour de mille pieds (trois cents mètres), exploit technique que les Américains n’ont pas su réaliser puisque l’obélisque de Washington s’est arrêté à 169 mètres, et qu’Eiffel a construite en deux ans et deux mois pour en faire le clou de l’Exposition universelle de 1889, va rester pendant plus de quarante ans le monument le plus haut du monde, avant d’être dépassée par le « Chrysler Building » puis l’Empire State Building.

Des ponts, aux quatre coins du monde

Fils de l’une des premières femmes-entrepreneuses de l’ère industrielle – Mélanie Eiffel a réussi dans le charbon -, le diplômé de Centrale suit son exemple en créant, en 1866, sa propre entreprise de constructions métalliques. Gustave a déjà fait ses preuves : à 27 ans, il a dirigé le grand chantier du Pont de Bordeaux, et acquis la réputation d’un homme créatif et innovant. Il dépose de nombreux brevets qui font progresser la construction métallique. Bartholdi lui confie la conception de la structure de la statue de la Liberté ; l’armée lui achète des dizaines de ponts démontables – une invention de son cru -, qu’elle utilise en Cochinchine. Grâce à ses nouvelles techniques qui font baisser les coûts, il bâtit à l’étranger des ponts gigantesques (Porto…), mais aussi des gares (Budapest…), des bureaux de poste (Saigon…) ou des églises (Arica, au Chili…). En France, le viaduc de Garabit, long de 565 mètres et culminant à 122 mètres au-dessus de la rivière, lui sert de vitrine.

Un « Meccano » géant pour les charpentiers du ciel

Patron social avant l’heure, capable de se jeter dans la Garonne pour sauver un ouvrier de la noyade, il impose une assurance pour tous ses salariés. Les accidents du travail sont quasi-inexistants sur ses chantiers savamment organisés. Celui de la Tour Eiffel est un modèle : les 18 000 pièces, fabriquées dans l’usine de Levallois, sont numérotées et acheminées sur le Champ de Mars avant d’être assemblées tel un « Meccano » géant par les charpentiers du ciel. Les équipiers n’ont pas le droit de boire de l’alcool ni de se parler, afin d’éviter les disputes, les bousculades et les chutes qui, à cent mètres du sol, seraient fatales. Un seul accident endeuillera le chantier, juste après son inauguration officielle ; Eiffel étouffe l’affaire en offrant une grosse somme d’argent à sa veuve afin qu’elle quitte la région.

Faisant oublier que l’exposition de 1889 fête le centenaire d’une révolution sanglante pour la Monarchie, la Tour Eiffel attire toutes les têtes couronnées. Gustave Eiffel reçoit le prince de Galles, le roi de Grèce, la Reine d’Espagne, le Shah d’Iran ou le futur empereur Hiro-Hito ; il accueille d’autres célébrités comme Thomas Edison ou Buffalo Bill.

Le tournant du scandale de Panama

Cependant, son triomphe est de courte durée : il est éclaboussé par l’affaire de Panama qui démarre en 1890. Eiffel n’est que l’un des fournisseurs du chantier, mais son savoir-faire unique en matière de construction des écluses l’a placé en position de force ; il a réalisé de grosses marges, alors que les petits porteurs d’actions ont tout perdu. Il est condamné en 1893 pour « abus de confiance », peine annulée par la Cour de Cassation pour prescription. Mais cette affaire, qui le rend impopulaire, empoisonne la fin de sa vie. Il quitte la construction et devient un mécène et un innovateur dans les domaines émergents de la météorologie – il est à l’origine des premiers annuaires météo – et de l’aérodynamisme. Il teste dans sa soufflerie les avions des pionniers de l’aéronautique Louis Blériot ou les frères Wright. Il reçoit à 81 ans la médaille d’or Langley, une sorte de Nobel de l’aéronautique, décernée par le Smithsonian Institute de Washington.

Son obsession : empêcher la destruction de la Tour

La Tour Eiffel, installation provisoire, aurait dû être démolie en 1909, mais les autorités parisiennes l’envisagent dès 1903. Empêcher sa démolition devient alors pour Eiffel le combat d’une vie : il organise un lobbying intense, suscitant des pétitions de scientifiques qui font de son troisième étage un lieu d’expérimentation ; il la rend surtout indispensable aux militaires, qui y mènent les premiers essais de TSF. La guerre de 1914-1918 lui permet d’obtenir définitivement gain de cause : la dame de fer y joue en effet un « rôle essentiel pour la Défense nationale » en permettant à l’armée française d’intercepter des messages, d’être informée de l’avancée des troupes allemandes… et de capturer Mata Hari !

À lire :

Christine Kerdellant, La vraie vie de Gustave Eiffel, Paris, Éditions Robert-Laffont, 2021

François Vey, La Tour Eiffel, vérités et légendes, Paris, Éditions Perrin, 2018

Xavier Coste et Martin Trystram, A comme Eiffel (B.D.), Éditions Casterman, 2019

Crédits images 

Illustration d’accueil et ci-contre : La tour Eiffel par Robert Delaunay 1926 © Wikimedia Commons

Illustration du chapô : Alexandre Gustave Eiffel photographie de Lucien Waléry 1880 © Wikimedia Commons

Illustration de l’article : La France : sites et monuments. Viaduc de Garabit. © Gallica/BNF. 

 

 

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