Femmes savantes au siècle des Lumières

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Article de Gérard Chazal, docteur en philosophie, professeur émérite à l’université de Bourgogne


Le siècle des Lumières hérite du temps qui l’a précédé l’image de Descartes acceptant de discuter des questions les plus abstraites avec la princesse Élisabeth et Christine de Suède ainsi que des deux ouvrages de Poulain de la Barre plaidant pour l’égalité des femmes et des hommes dans le champ des sciences (De l’éducation des dames pour la conduite de l’esprit dans les sciences et dans les moeurs, De l’égalité des deux sexes , discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugez).

Le XVIIIe  siècle : une époque favorable aux femmes

Malgré l’autre héritage, celui des Femmes savantes de Molière et la philosophie rousseauiste d’une nature féminine incompatible avec l’accès aux sciences, le XVIIIe siècle fut plus favorable aux femmes scientifiques que ne le furent les siècles précédents et surtout que ne le sera le XIXe de la bonne bourgeoisie triomphante. La révolution scientifique a remis en cause beaucoup des normes souvent rigides qui organisaient la société et a donné naissance à une critique à la fois politique et sociale. L’image de la femme, être inférieur soumise à l’homme, portée par certains aspects paulinien du christianisme, subit les effets de cette critique. Sur cette question de la place des femmes le texte de Diderot « Femmes » est particulièrement significatif, comme le seront à la fin du siècle les positions de Condorcet, même si Olympe de Gouges monta à l’échafaud. C’est à la faveur de ces remises en cause radicales que de nombreuses femmes, bien que souvent tenues à l’écart de l’Université, ont pris une place importante dans la science en train de se faire.

Des savantes de premier plan

L’axe des bouleversements des sciences au siècle des Lumières est la théorie newtonienne de la gravité. Or il est déjà tout à fait remarquable que les Principia de Newton aient été traduits en Français par une femme, Émilie du Châtelet ; cette traduction est d’ailleurs toujours celle qui prévaut aujourd’hui. Les institutions de physique de la même savante sont aussi un des grands textes de la philosophie des sciences.

Ainsi des femmes se retrouvent dans tous les domaines scientifiques et en particulier dans celui des « sciences dures » dont elles sont encore souvent exclues aujourd’hui. En astronomie, Nicole-Reine Lepaute, que Lalande admirait beaucoup, réussit à déterminer la trajectoire de la comète de Haley. Dans ce domaine de la sciences des astres il faudrait aussi citer Madame du Pierry qui succéda à Nicole-Reine Lepaute à l’Académie des sciences de Bézier et surtout Caroline Herschel dont les travaux ont souvent été masqués par ceux de son frère.

Les femmes dans les institutions

Si les universités et les sociétés savantes restent encore bien souvent fermées aux femmes, l’université de Bologne et l’académie des sciences de la même ville furent beaucoup plus ouvertes. Ainsi Laura Bassi put y mener une véritable carrière universitaire. Maria Agnesi, fille d’un des professeurs de Bologne devint une grande mathématicienne et, étudiant les courbes cubiques, réussit un travail remarquable sur l’une d’elles qui porte dorénavant son nom : courbe d’Agnesi.

Il est vrai que si ce siècle se montre aussi favorable à ce que des femmes prennent part à la constitution du savoir, ce sont évidemment des femmes issues des milieux les plus éclairés de la société. Bien sûr les femmes des milieux les plus populaires demeuraient dans le cadre d’une vision traditionnelle particulièrement machiste, mais les hommes de ces milieux restaient eux aussi loin des sciences. Nous pourrions donc citer de nombreuses femmes, dans tous les domaines du savoir. Par exemple dans celui de la chimie, Madame Picardet, collaboratrice de Lavoisier puis épouse de Guyton de Morveau, joua un rôle important, ainsi que Marie-Anne Paulze, épouse de Lavoisier. Les travaux de ces femmes ayant été souvent éclipsés par ceux de leurs maris, il n’en demeure pas moins qu’elles ont tenu une place de premier plan dans le développement de la nouvelle chimie.

Sophie Germain : une exception à l‘aube du XIXe siècle

Pour finir et le siècle et cet article, il est bon d’évoquer Sophie Germain, née en 1776, décédée en 1831 ; elle fit l’expérience amère de cet ordre nouveau qui exclut les femmes plus que jamais des sciences et fut autodidacte. Elle dut se faire passer pour un homme, M. Le Blanc, pour présenter ses travaux en particulier dans le domaine de la physique et des mathématiques. Elle suscita cependant l’admiration de la plupart des physiciens de son temps, en particulier de Lagrange. En mathématique ce sera Gauss qui l’admirera au point de lui obtenir le titre prestigieux de docteur honoris causa de l’université de Göttingen.

Les périodes qui suivent seront beaucoup plus sombres pour les femmes qui voulaient se pencher sur les sciences et à quelques exceptions près comme Mary Somerville et Ada Lovelace en Angleterre, c’est une longue lutte qui commence et se poursuit encore aujourd’hui.

À lire :

Gérard Chazal, Les Femmes et la science, Paris, Ellipses, 2015

Denis Diderot, Sur les femmes, Paris, Gallimard, folio, 1935, 2004.

Elisabeth Badinter, Émilie, Émilie, l’ambition féminine au XVIIIe siècle, Paris, Flammarion, 1989, livre de poche, 1997.

Sylvie Dodeller, Sophie Germain, la femme cachée des mathématiques, Paris, l’École des Loisirs, 2023.

Anne Boyé, Je suis… Sophie Germain, Lyon, Jacques André éditeur, 2017.

Annabelle Kremer Lecointre (préface d’Aurélie Jean), Femmes de science : à la rencontre de 14 chercheuse d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Martinière Jeunesse, 2021.

Jean-Pierre Poirier, Histoire des femmes de sciences en France du Moyen Age à la Révolution, Paris, Pygmalion, 2002.

Crédits photos :

Illustration de l’article : Gravure extraite des Femmes savantes de Molière, in Œuvres, illustré par François Boucher, Paris, P. Prault, 1734, tome 6.1734 © Gallica/BnF

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