Charles-Marie de La Condamine

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Par Perrine Michon, Docteur en géographie, chargée de mission auprès du Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences Morales et Politiques


« Du génie pour les sciences, du goût pour la littérature, du talent pour écrire, de l’ardeur pour entreprendre, du courage pour exécuter, de la constance pour achever, de l’amitié pour vos rivaux, du zèle pour vos amis, de l’enthousiasme pour l’humanité ».

C’est en ces termes que le comte de Buffon accueille Charles-Marie de La Condamine à l’Académie française, le lundi 12 janvier 1761 lors de la séance publique qui se tient au « Palais du Louvre », répondant au discours de réception que celui-ci vient de prononcer, sur le thème « « De l’universalité de la langue françoise », après avoir été élu à la place laissée vacante par la mort de M. de Vauréal, évêque de Rennes.

Charles-Marie de La Condamine a alors 60 ans. Il est déjà membre de l’Académie des sciences où il est entré en qualité d’adjoint chimiste en 1730. Entre ces deux dates c’est toute une vie d’explorations, d’aventures et d’observations scientifiques qu’il va mener, et qui font de lui l’incarnation parfaite de la figure du savant-aventurier du XVIIIe siècle.

Une jeunesse mouvementée

Fils d’un receveur des finances et de Louise Marguerite de Chourses, Charles Marie de La Condamine naît le 28 janvier 1701 à Paris. Orphelin très jeune, il fait ses études au collège Louis-le-Grand où il est formé aux humanités et aux mathématiques.

Après avoir participé à la guerre contre Philippe V d’Espagne en 1719, durant laquelle il contracte la petite vérole qui le marquera profondément tant physiquement que psychologiquement – au point que Condorcet disait de lui que « les changements qu’elle avait fait à sa figure le frappèrent tellement qu’il n’osait pas se flatter de plaire » – il participe en mai 1731 au périple de Duguay-Trouin en Méditerranée, qui part pour une inspection des Échelles du Levant. Il en rapporte une collection d’observations qu’il consigne dans son journal et présente à l’Académie des sciences le 12 novembre 1732, ses “Observations mathématiques et physiques faites dans un voyage du Levant en 1731 et 1732”.

Mandarine ou citron ?

Mais c’est la querelle sur la forme de la Terre qui anime les scientifiques depuis le XVIIe siècle et oppose « cartésiens » et « newtoniens », qui lui vaut de se retrouver embarqué dans l’une des expéditions scientifiques les plus périlleuses du XVIIIe siècle : celle qui part en avril 1735 en direction du Pérou, alors sous autorité espagnole, afin d’aller mesurer la longueur d’un arc de méridien d’un degré à proximité de l’Équateur. L’enjeu est de vérifier la figure de la Terre et de savoir si le globe a plutôt la forme d’un citron ou d’une mandarine. Cette affaire n’est pas anodine car de cette plasticité de la matière découlent d’autres conclusions telle que l’origine fluide de la Terre. Il s’agit de vérifier l’hypothèse de Newton – qui s’avèrera exacte – selon laquelle la Terre n’est pas une sphère parfaite mais est enflée à l’Équateur et aplatie aux pôles (en forme de mandarine) – le clan des cartésiens soutenant que la Terre est au contraire aplatie à l’Équateur et enflée aux pôles (en forme de citron).

Pour en apporter la preuve, l’Académie royale des sciences organise deux expéditions : l’une part en 1736-37 « le plus au Nord qu’il serait possible », en Laponie, sous la conduite du géographe Pierre Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759). Elle rentrera assez rapidement à Paris, couronnée de succès : ses mesures validant les intuitions de Newton.

Un aventurier au Pérou

L’autre expédition est lancée un an auparavant pour des calculs à l’Équateur. Elle durera dix ans. Elle est officiellement dirigée par l’astronome Louis Godin (1704-1760) et outre La Condamine, associe d’autres savants, membres de l’Académie des sciences : le mathématicien Pierre Bouguer (1698-1758) ou le médecin naturaliste Joseph de Jussieu (1704-1779).

Si l’expédition a reçu le soutien de Philippe V qui autorise pour la première fois des scientifiques étrangers à voyager dans cette partie de l’empire espagnol, l’expédition se déroule dans un climat difficile au cœur de la cordillère des Andes – l’arc méridien choisi s’étendant de Quito à Cuenca et passant par une haute vallée perpendiculaire à l’Équateur – en butte à l’hostilité des Espagnols, et surtout du fait de dissentions internes : Godin refuse de communiquer ses résultats à ses collègues, La Condamine et Bouguer collaborent avant de se fâcher. Après bien des vicissitudes, La Condamine sauvera les résultats scientifiques de l’expédition qui s’avéreront au fil des siècles d’une étonnante exactitude et obtient la mesure de trois degrés du méridien de Quito.

En 1743 l’expédition se sépare pour rentrer en Europe. La Condamine choisit de descendre en pirogue les 6000 kilomètres de l’Amazone dont il fera le premier relevé hydrographique depuis sa source andine jusqu’à son embouchure atlantique. En février 1745, il est à Paris, rapportant avec lui de nombreuses notes, des spécimens d’histoire naturelle et divers objets d’art.

Héritage scientifique de La Condamine

Les fruits de l’expédition de La Condamine sont multiples : outre les relevés géographiques et astronomiques, les connaissances en botanique font de grandes avancées. Il rapporte de précieuses observations sur ce « bois qui pleure », le Caotchu, sur l’arbre à quinquina qui portera son nom (Cinchona Officinalis Condaminea) ou encore sur cette substance que les Amérindiens utilisent comme poison pour enduire les flèches : le curare. Il observe aussi leurs techniques d’inoculation à faible dose de la variole et se fera à son retour le promoteur de l’inoculation.

En août 1756 La Condamine se marie avec sa jeune nièce, Charlotte Bouzier d’Estouilly.

Il meurt le 4 février 1774, laissant à travers les siècles la trace de ses multiples talents puisque Victor Hugo dira encore qu’« Il y avait à l’académie un curieux effrayant, La Condamine : il rimait des bouquets à Chloris comme Gentil-Bernard et explorait l’océan comme Vasco de Gama »

Fichier:Carmontelle, Monsieur de la Condamine (1760, détail).jpg

À lire :

Florence Trystram, Le Procès des étoiles, Paris, Payot, 2001.

Arnaud Le Gouëfflec, Briac, Méridien, bande dessinée, postface de Perrine Michon, Locus Solus, 2022.

Charles-Marie de La Condamine, “Sur l’arbre du Quinquina”, Mémoires de l’Académie des Sciences de Paris, 1738.

Charles-Marie de La Condamine, Journal du voyage fait par ordre du roi, à l’Equateur, servant d’introduction historique à la mesure des trois premiers degrés du méridien, Paris, De l’imprimerie royale, 1751.

 

Crédits images

Illustration d’accueil : Lecture de la tragédie de Voltaire, l’Orphelin de la Chine, dans le salon de Madame Geoffrin en 1755, 1812 © Wikimedia Commons

Illustration du chapô : Charles-Marie de La Condamine, Pierre-Philippe Choffard, 1768 © Wikimedia Commons

Illustration de l’article : Carte du cours du Maragnon ou de la grande route des Amazones dans sa partie navigable depuis Jaen de Bracoromos jusqu’à son embouchure et qui comprend la Province de Quito, et la côte de la Guiane depuis le Cap de Nord jusqu’à Essequebè, Charles-Marie de La Condamine, 1743-1744 © Gallica/BnF

Illustration de la bibliographie : Monsieur de la Condamine, Louis Carrogis de Carmontelle, 1760 © Wikimedia Commons

 

 

 

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