Premières « 24 heures du Mans »

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Par Mathieu Flonneau, historien, agrégé d’histoire, docteur, Directeur de l’Institut AES-EDS, maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, chercheur au SIRICE-CRHI, ancien Président de T²M (Traffic&Transport to Mobility International Association) et de P2M (Passé-Présent-Mobilités)


Une histoire classique du sport ne peut pas prétendre épuiser la légende fameuse des « 24 heures » ; et une réduction au palmarès des pilotes vainqueurs ou des marques triomphatrices, telle que pourrait la dresser une chronique parfois haute en couleurs ou peut-être aride selon les années, ne saurait restituer la richesse des enjeux industriels, économiques, géopolitiques, culturels, et enfin sportifs, portés par cette épreuve d’endurance automobile désormais séculaire et considérée dans son genre comme un sommet indépassable. 

1906 : Le Mans avant Le Mans

L’histoire longue du Mans est faite d’adossements divers et de liens originels et essentiels avec l’histoire universelle de l’automobilisme contemporain qui bénéficia dans la Sarthe de terres fertiles aux débuts de la révolution automobile, dont la famille Bollée fut l’une des pionnières.

Aux origines de ce statut de juge de paix international dans l’univers de la compétition automobile, les premières 24 Heures du Mans ont accompagné l’essor de ce qui par-delà le sport permettait de tester la robustesse de tout un écosystème de mobilités innovantes dont la route était le support renouvelé, à savoir l’automobilisme. Toutefois il y a bien eu un Mans avant « Le Mans » puisque sur un circuit triangulaire de près de 130 kilomètres constitué de routes légèrement aménagées pour la vitesse, s’était tenu en 1906 le premier « Grand Prix » de l’histoire automobile.

Mandaté par l’Automobile Club de France – premier automobile club fondé à Paris en 1895 qui réglementait les courses autos par l’entremise de la Fédération Internationale de l’Automobile créée en 1904 -, l’Automobile Club de la Sarthe en assuma la responsabilité. Avec lyrisme alors, l’événement avait été décrit par Paul Adam comme un « triomphe sur l’espace ». Au circuit de la Sarthe, des « chars de féerie », symboles du « nouveau bien » avaient témoigné des « miracles nouveaux de la science et de l’héroïsme unis ». Le succès populaire avait été spectaculaire et l’engouement immédiat. La foule des spectateurs et la convivialité d’une fête, avec concerts, bals et attractions, demeurent du reste la marque de cet événement total dont la magie opère largement au-delà des seuls bords de la piste au centre de l’action. Ce sont en effet près de 250 000 personnes, venues de nombreux pays, que l’épreuve contemporaine draine à chaque occasion.

1923 comme repère originel

Plus de quinzaine d’années sont passées, ainsi qu’une guerre mondiale, quand en 1923, l’esprit de la course réinvestit les lieux pour une épreuve inédite en Europe. La firme « Rudge-Whitworth » dont le nom figurait bien au centre de la première affiche de ce qui s’annonçait comme un « Grand Prix d’endurance » en fut le premier financeur officiel. La « Société Française des Roues Détachables », en sponsorisant cette « coupe » des débuts de la compétition d’endurance automobile mancelle entendait de la sorte révéler au grand public la robustesse de ses productions. Son patron en était Emile Coquille qui, aux côtés de Georges Durand, pilier historique fondateur de l’Automobile Club de la Sarthe et artisan des épreuves de 1906 et du Salon de l’auto du Mans de 1912 (le premier du genre organisé en province) joua le rôle d’aiguillon. Troisième associé de ces temps héroïques, Charles Faroux, journaliste automobile chroniqueur à L’auto puis fondateur de La Vie automobile, en fut le directeur de course jusqu’en 1956.

La première itération de l’épreuve, conçue d’abord comme triennale, était encadrée par un règlement complexe, imposant notamment aux véhicules engagés dans la catégorie des carrosseries de « tourisme » d’être identiques à la production du catalogue commercial. Des protocoles précis pour encadrer les qualifications, parmi lesquels le pesage et l’inspection préalable dont la ville du Mans, à proximité de la cathédrale, devint le théâtre, se mirent progressivement en place. Disparues par la suite, les couleurs dites nationales étaient imposées aux véhicules : « France bleu, Italie rouge, Belgique jaune, Angleterre vert, Amérique blanc ».

C’est finalement à la vitesse horaire moyenne de 92 km/h que les vainqueurs remportèrent cette première édition après 128 tours de circuits. André Lagache et René Léonard qui s’étaient relayés au volant, pilotaient une Chenard et Walker. Fait remarquable, il n’y eut en cette année fondatrice que très peu d’abandons (trois sur trente-trois concurrents), ce qui n’annonçait vraiment pas l’avenir de l’épreuve si éprouvante pour les hommes et les mécaniques. Un record du tour à 107 km/h de moyenne y fut alors accompli par la Bentley de John Francis Duff et Frank Clement ce qui était annonciateur de futures victoires précieuses pour la renommée de la marque anglaise. Déjà des aléas météorologiques, comme autant de « faits et fortunes de course », avaient pourtant animé la rivalité entre les concurrents. Chaque année, de grandes chaleurs, de possibles pluies battantes assorties parfois de rafales de grêle s’ajoutent aux dangers de la route nocturne souvent émaillée de péripéties dramatiques voire catastrophiques comme avec l’accident terrible de 1955 qui occasionna plus de 80 décès et plusieurs centaines de blessés.

À lire :

Bernard CLAVEL, Victoire au Mans, Paris, Robert Laffont, 1968.

Mathieu FLONNEAU, Les cultures du volant. Essai sur les mondes de l’automobilisme, Autrement, 2008 ;

Idem, « Aux prémisses de l’automobilisme, les automobiles Bollée. Eléments de cadrage historiographique », in Une dynastie d’inventeurs, ingénieurs et industriels au Mans, les Bollée, Département de la Sarthe, Le Mans, 2016, vol. 1, p. 35-43.

Idem, entrée « Automobiles », in Dictionnaire culturel du sport, 2020, p. 23-25

Gérard de CORTANZE, La légende des 24 Heures du Mans, Albin Michel, 2018.

Crédits photos : 

Illustration du dossier : Fernand Bachman au 24h du Mans (1923) © Nicolas Bachmann | Wiki Commons

Illustration du chapô : Affiche des 24h du Mans (1923) © Automobile Club de l’Ouest | Wiki Commons

Illustration de l’article : Tableau d’affichage nocturne des 24h du Mans (1923) © Agence Rol | BnF

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