Le Mans par-delà Le Mans : les dynamiques d’innovation de l’automobilisme

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Article de Mathieu Flonneau, historien, agrégé d’histoire, docteur, Directeur de l’Institut AES-EDS, maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, chercheur au SIRICE-CRHI, ancien Président de T²M (Traffic&Transport to Mobility International Association) et de P2M (Passé-Présent-Mobilités)


Lors d’une épreuve sportive à l’aura médiatique peu comparable – qui essaima avec les Le Mans Series – se joue et rejoue à chaque édition un prestige automobile mondial retentissant. Sans doute l’histoire, avec ses faits « objectifs » d’ailleurs rappelés à l’entrée du circuit par un intéressant musée dont la collection permanente sur place alterne avec des expositions temporaires, n’explique-t-elle pas tout de l’alchimie légendaire qui alimente la « ronde infernale » à la fois tellement crainte et désirée.

« La course est immortelle ». Charles Faroux avait eu cette formule heureuse que pour chaque édition, le trophée spectaculaire et pesant remis aux vainqueurs redit sur son socle. Celui spécialement conçu pour l’année du centenaire n’y déroge pas. Un globe terrestre surmonté de l’inscription « 24H » au graphisme stylisé, suggère la résonance planétaire de l’épreuve. Intégrant dans sa structure fixée par des colonnes antiques une reproduction du trophée de la course de 1923, soit une Victoire de Samothrace à la signification bien accordée aux récits toujours héroïques des victoires.

Protocoles, cérémonies de parade, de départ (avec la course à pied des pilotes jusqu’à leur cockpit) et de victoire après le franchissement du drapeau à damiers : tout le modèle du big business sportif américain a été progressivement décalqué afin de produire un show total.

Côté course, la liste des innovations est très longue tant en ce qui concerne les véhicules que le circuit lui-même dont les infrastructures ont toujours été au cœur d’enjeux sécuritaires importants. Tracés et configurations matérielles de la piste et des tribunes ont connu des ajustements réguliers. Des balles protectrices de bruyère, des talus de terre et de sable, des accotements sécurisés, puis des équipements de la route dédiés et des dispositifs de retenue ont été testés sur un tracé entièrement macadamisé seulement à partir de 1926.

Côté pilotes, en 1930 deux femmes prirent pour la première fois part à la course sans que cette inflexion genrée ne s’accentue ou même se vérifie réellement par la suite. En 1949, le port du casque y est devenu obligatoire mais surtout les objectifs concernant la sécurité active des véhicules se sont radicalisés. Concordantes avec les évolutions d’un règlement en constante évolution, les innovations ont concerné tous les organes des bolides, des pneumatiques à l’éclairage, en passant par le chronométrage, le freinage, ou encore l’aérodynamique. Enfin, une illusoire « neutralité technologique » a toujours été battue en brèche par les exigences sociétales évolutives dont l’épreuve se fait le reflet en ce qui concerne les énergies et les motorisations. Le trophée spécifique de la « course à l’indice » a d’ailleurs toujours récompensé le souci de rendement appliqué aux carburants des voitures, ce qui représentait un grand intérêt pour un éventuel passage à une production en série.

Relisons pour finir Roger Nimier, écrivain « hussard » d’après la Seconde Guerre mondiale et conducteur intrépide dans la France accélérée des « Trente Glorieuses », qui chercha à sa manière à expliquer la légende du Mans : « le succès du Mans tient à ce que l’on trouve réunis des guerriers (c’est-à-dire des soldats de luxe). Des témoins qui ne regardent rien, des historiens qui répètent leur leçon, des techniciens qui se taisent et une publicité qui parle beaucoup ».

Assurément, avec parfois lyrisme, la « vérité de la piste » se joue au carrefour de ces différentes logiques rappelées à chaque édition de l’épreuve.

À lire :

Bernard CLAVEL, Victoire au Mans, Paris, Robert Laffont, 1968.

Mathieu FLONNEAU, Les cultures du volant. Essai sur les mondes de l’automobilisme, Autrement, 2008 ;

Idem, « Aux prémisses de l’automobilisme, les automobiles Bollée. Eléments de cadrage historiographique », in Une dynastie d’inventeurs, ingénieurs et industriels au Mans, les Bollée, Département de la Sarthe, Le Mans, 2016, vol. 1, p. 35-43.

Idem, entrée « Automobiles », in Dictionnaire culturel du sport, 2020, p. 23-25

Gérard de CORTANZE, La légende des 24 Heures du Mans, Albin Michel, 2018.

Crédits photos : 

Illustration de l’article : La course des 24 Heures du Mans (2019) © United Autosports | WikiCommons 

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