Sacre de Louis XV à Reims

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Par Patrick Demouy, docteur ès Lettres, professeur émérite d'histoire médiévale de l'Université de Reims Champagne-Ardenne


Les dernières années du Roi-Soleil ont été endeuillées par de multiples disparitions, qui ne lui laissèrent, au moment de son décès, le 1er septembre 1715, qu’un arrière-petit-fils de cinq ans. Années sombres pour le royaume. Une vague de pamphlets, d’une virulence inouïe, s’attaqua à l’image glorieuse du défunt pour ne retenir de son règne que la misère du peuple, la fiscalité oppressive, l’ambition guerrière. Mais la monarchie absolue n’était pas à bout de souffle ; en s’appuyant sur les cadres administratifs existants, le régent, Philippe d’Orléans, réussit à conforter le pouvoir royal sans soubresauts majeurs. Il veilla à donner à Louis XV une instruction soignée et quand celui-ci fût entré en 1722 dans sa treizième année, celle de la majorité royale, il décida d’organiser son sacre pour « augmenter s’il était possible, l’amour et le respect » des sujets pour sa personne « et leur en faire même une religion ».

Six mois de préparatifs pour affermir le pouvoir royal

L’hypothèse de Saint-Louis des Invalides fut vite écartée au profit de la traditionnelle cathédrale de Reims où s’enracinait la royauté de droit divin dans la mémoire du baptême de Clovis. Le peuple attendait avec impatience une cérémonie qui marquerait un renouveau voire un état de grâce. Plus de 100 000 personnes ont fait le déplacement pour assister aux festivités.

Les préparatifs ont duré six mois. Le temps d’instruire le jeune roi du rituel, riche de symboles, et de mettre les lieux en état.  Il fallait nettoyer les voûtes et les vitraux de la cathédrale, y installer tribunes et loges pour les assistants de marque, l’orner, ainsi que le palais archiépiscopal, de tapis et tentures (50 chariots acheminés depuis Paris). Le conseil de ville distribua entre ses membres les charges qui lui incombaient, en particulier la fourniture du vin : 45 pièces – de 205 litres – et 6000 flacons offerts au roi et aux dignitaires. Les comptes mentionnent, pour la première fois à un sacre, du « vin mousseux » de Champagne. Restait à décorer la ville. Quatre arcs de triomphe sur le parcours suivi par le souverain devaient afficher ses vertus ainsi que la fidélité et l’attachement du peuple. Avec des allégories et des vers latins et français on évoquait le retour de l’âge d’or, le triomphe de Minerve, l’espoir de paix et de justice : des Amours enlevaient du temple de Mars les armes destinées aux sièges et aux combats. Le message était clair.

Une charge symbolique puissante et efficace

Louis XV quitta Versailles le 16 octobre ; il arriva à Reims le 22 et le sacre fut célébré le dimanche 25 selon le cérémonial ancestral. Le premier acte, à la pointe du jour, était le lever du roi. Gisant sur un lit de parade, il était redressé par deux évêques, comme si le roi dormant était rappelé à la vie, puis conduit à la cathédrale où l’attendait l’archevêque. Celui-ci lui demanda d’abord de prêter trois serments qu’on peut résumer par ces trois mots : paix, justice, miséricorde. L’archevêque procéda à l’investiture des symboles de chevalerie, les éperons d’or et l’épée ; commença alors le chant des litanies que le roi écouta prosterné devant l’autel. Puis il se mit à genoux devant le prélat qui lui administra une septuple onction : sur la tête, sur la poitrine, entre les épaules, sur chaque épaule, aux jointures des bras, comme pour investir les sièges vitaux de la force d’en-haut. Pour cela le saint-chrême était enrichi de quelques parcelles du baume contenu dans la sainte Ampoule, censée être descendue du ciel pour le baptême de Clovis ; elle signifiait la continuité et la légitimité, elle renforçait la sacralité du roi en lui conférant la grâce d’être lui-même thaumaturge, capable de guérir les malades éprouvés par les écrouelles (plus de 2000 se présentèrent à Reims). Le roi reçut la tunique, la dalmatique et le manteau fleurdelisés. Deux dernières onctions furent faites sur ses mains aussitôt revêtues de gants. L’archevêque lui remit un anneau puis procéda à la remise du sceptre et de la main de justice. Enfin il lui posa la couronne sur la tête et les douze pairs de France y portèrent la main droite pour signifier leur soutien. Suivait l’intronisation sur un siège surélevé dominant le jubé, instituant le roi comme médiateur entre Dieu et son peuple. C’est à ce moment seulement que les portes de la cathédrale furent ouvertes à la foule, au son des cloches, tambours et hautbois, tandis que 600 oiseaux étaient lâchés sous les voûtes, images des prisonniers libérés. Suivirent une messe solennelle puis le festin servi dans la grande salle du palais archiépiscopal. Cavalcades, revues, parades et dévotions se poursuivirent jusqu’au départ du roi le vendredi 30.

À lire :

SCHMID, Josef-Johannes, Sacrum Monarchiae Speculum. Der Sacre Ludwigs XV.1722: Monarchische Tradition, Zeremoniell, Liturgie, Münster, Aschendorff Verlag, 2007.

DEMOUY, Patrick, Le sacre du roi. Histoire, symbolique, cérémonial, Strasbourg-Paris, La Nuée Bleue-Place des Victoires, 2016.

Crédits photos : 

Illustration de la page d’accueil : Pierre Subleyras, Sacre de Louis XV, huile sur toile, musée des Augustins, Toulouse, 1722 © Wikimedia Commons

Illustration du chapô : Hyacinthe Rigaud, Portrait de Louis XV, âgé de 5 ans (1710-1774), assis sur son trône en grand costume royal, huile sur toile, châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles, 1715 © Wikimedia Commons

 Illustration de la notice générale : Pierre-Denis Martin, Sacre de Louis XV le 25 octobre 1722 en la cathédrale de Reims, huile sur toile, châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles, 1722-1742 © Wikimedia Commons

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