Dix-sept années de carrière incandescentes

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Entretien écrit avec Geneviève Winter, agrégée de lettres classiques, biographe de Gérard Philipe


De ses débuts d’acteur sur la scène du casino de Nice au cancer qui l’emporta en quelques semaines, la carrière de Gérard Philipe n’aura duré que 17 ans. Mais ce furent des années d’intense activité doublée d’un engagement sans faille, qui auront marqué durablement la scène et le paysage audiovisuel français.

– Quelle formation d’acteur Gérard Philipe a-t-il reçue ?

Sa vocation ayant été tardive et compromise par l’Occupation qui l’empêchaient de quitter la zone libre pour s’inscrire au Conservatoire, il suit d’abord sur les conseils du cinéaste Marc Allégret les cours de diction de Jean Huet au Centre des jeunes pour le cinéma de Nice, puis ceux du metteur en scène Jean Wall à Cannes. Comme il le fera toute sa vie, il s’imprègne naturellement d’un savoir né de ses rencontres avec des acteurs et des cinéastes. En 1943, alors qu’il triomphe dans Sodome et Gomorrhe, il décide lucidement de s’inscrire au Conservatoire : il aura pour maître Georges le Roy qui deviendra le mentor de toute sa vie de théâtre et le conseillera pour tous ses grands rôles.

– Comment caractériseriez-vous ces rôles ? Peut-on les rattacher à un certain type d’emploi, héroïque ou romantique ? 

L’interprétation de Gérard Philipe, par sa légère déviation par rapport à l’usage, donnait à ses personnages une forme d’incandescence et une poésie unique, dans un souci permanent de fidélité au texte et d’harmonie avec ses partenaires. Si le mythe a retenu l’empreinte de son chant, son énergie dramatique et la poésie dont il nimbait ses rôles de héros, le comédien a su exercer son art dans des registres très divers : il a interprété des fous, des exclus de la société et des séducteurs cyniques, mais il a toujours voulu leur insuffler une part d’humanité en accord avec sa vision du monde.

– Que lui a apporté sa collaboration avec Jean Vilar ?

Gérard Philipe, après avoir créé le rôle éponyme dans la pièce d’Albert Camus, Caligula, rêvait d’interpréter un « répertoire vigoureux » et contemporain qui ne relevât ni du théâtre de patrimoine, ni du théâtre de boulevard. Jean Vilar lui offre une double ouverture : il lui révèle ses qualités de tragédien, et lui donne la possibilité de déployer son jeu sur de grands espaces scéniques – la Cour d’honneur du palais des papes, l’immense salle du palais de Chaillot –, devant un public plus large, plus jeune que celui des salles à l’italienne. Tout en maintenant une réserve aristocratique dans son comportement, Gérard Philipe participe très sincèrement au projet d’un théâtre populaire, exigeant et généreux.

–  Que dire de son engagement politique ?

C’est à mon sens par une sincère foi dans l’utopie communiste qu’il a été compagnon de route du Parti auquel il n’a jamais adhéré. Je parlerai plutôt de convictions affirmées que d’engagement ou de militantisme : il a d’ailleurs eu le temps avant de mourir de perdre ses illusions. Il ne me semble pas que ces convictions aient mobilisé un public particulier ou en aient éloigné un autre.

– Qu’est-ce qui explique que Gérard Philipe ait laissé une empreinte aussi forte ?

Son mythe et son empreinte durable, me semble-t-il, tiennent à l’harmonie entre sa personnalité et sa vision de l’art dramatique : l’éclat de son jeu dissimulait un travail considérable. Dans son ambition pour le public, il souhaitait le détacher d’un théâtre de pur divertissement pour lui faire découvrir des œuvres classiques et des textes contemporains. Il me semble que c’est l’adéquation entre sa générosité naturelle, celle qu’incarnaient ses rôles, et son optimisme, qui ont déterminé son empreinte dans l’imaginaire collectif. À la grâce de sa personne physique, il associait une élégance morale et une discrétion dans sa vie privée qui le rendent toujours exemplaire.

À lire :

Geneviève Winter, Gérard Philipe, Paris, Gallimard, coll. “Folio Biographies”, 2022

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Gerard Philipe lisant des poèmes de Paul Eluard pour Pierre Seghers, Paris 1955 © WikiCommons

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