Portrait d’Ernest Renan par Maxime Du Camp (1822-1894)

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Texte de Maxime Du Camp. Les Académiciens de mon temps, édition établie par Thomas Loué.


Entre 1882 et 1893, Maxime Du Camp dresse une série de portraits sans filtres de ses confrères académiciens. Dans une édition établie par Thomas Loué, Les Académiciens de mon temps recueille ces pages mordantes, en diamétrale opposition avec l’exercice habituel de l’éloge académique.

Voici le portrait que Maxime Du Camp dresse d’Ernest Renan :

 

J’ai fait office de chancelier hier (27 avril 1882) pendant qu’il recevait Pasteur. Il a lu, il a joué son discours, comme un curé de campagne qui croit savoir son sermon par cœur et est souvent obligé de recourir au texte. Langue exquise, quoique parfois trop chargé d’épithètes ; beaucoup d’esprit et de trait, de la malice et, sous une grosse apparence de bonhomie, des coups de pattes à tout le monde. En résumé, son opinion semble être : Il ne faut ni douter ni croire, mais il est sage de croire et il est prudent de douter. C’est le Paganini du néant.

Quel est-il ? bon ou mauvais, orgueilleux ou modeste, superficiel ou profond ? Je n’en sais rien. Son talent est considérable mais son caractère est nul. Il est toujours de l’avis de celui qui parle : Pourquoi ? indifférence, timidité, superbe ? Je l’ignore. Hardi quand il écrit, tout en gardant une oreille tendue vers le bruit public, il semble, dans la causerie, redouter les contradicteurs, et n’oser affronter une opinion opposée à la sienne. Je ne sais qu’en penser, j’ai du goût et de l’attrait pour lui et nulle confiance. – Il est énorme, bas sur jambes, ventripotent, parfaitement sale, d’odeur peu suave ; l’ongle est toujours noir et l’haleine toujours chaude. Ses vêtements sont négligés. On voit bien, on voit trop que les soins extérieurs lui sont indifférents ; il pense à autre chose et il a l’abandon des cuistres, mais il est resté prêtre, prêtre à sa façon d’être, de parler, de regarder, de sourire. Il ne croit pas en Dieu, il ne croit pas à la morale, il ne croit pas à la philosophie, mais il croit à l’Église, c’est-à-dire à la hiérarchie et à la discipline. Ce qu’il regrette dans la constitution sociale de notre époque, c’est l’absence d’une aristocratie qui donnerait l’exemple des grandes façons et protégerait les lettrés ; il me l’a dit. De la discipline qui lui a été imposée au séminaire, il a gardé le besoin d’obéir. Dans la solitude, il s’insurge ; on le voit dans ses livres ; dès qu’il est en compagnie, il se soumet, il devient humble ; on le voit à son attitude. Esprit indépendant, mœurs serviles. Étrange homme, fait de contrastes ; très puissant, ayant exercé une forte influence sur les idées de son temps, vilipendé par les prêtres, loué par les athées ; ni les uns ni les autres ne l’ont compris. C’est un dilettante, un virtuose de première force, mais ce n’est qu’un virtuose. Si, à son lit de mort, il n’appelle pas le curé de sa paroisse, j’en serais bien surpris.

Il a parlé de Littré avec respect et ironie ; il n’a pas vu que Littré avait un tel besoin de croire ; qu’il a cru à Auguste Comte plutôt que de je ne croire à rien. Après Renan, après Pasteur, l’éloge de Littré reste à faire. La vertu maîtresse de Littré fut sa bonne foi : seule elle s’applique et le fait comprendre ; c’est peut-être pour cela que Renan ne l’a pas compris.

 

Pour en savoir plus sur Les Académiciens de mon temps, découvrez l’émission Canal Académies dédiée à l’édition des portraits et de la correspondance de Maxime Du Camp avec ses confrères par Thomas Loué : 

Maxime Du Camp épingle les académiciens de son temps | Canal Académies (canalacademies.com)

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