Pierre Loti par Maxime Du Camp (1822-1894)

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Texte de Maxime Du Camp. Les Académiciens de mon temps, édition établie par Thomas Loué.


Entre 1882 et 1893, Maxime Du Camp dresse une série de portraits sans filtres de ses confrères académiciens. Dans une édition établie par Thomas Loué, Les Académiciens de mon temps recueille ces pages mordantes, en diamétrale opposition avec l’exercice habituel de l’éloge académique.

Voici le portrait que Maxime Du Camp dresse de Pierre Loti :

 

L’officier de marine Viaud, a fait un roman intitulé : Le mariage de Loti. Le livre a eu du succès, l’auteur a pris le pseudonyme de Pierre Loti sous lequel il est connu aujourd’hui et qu’il a été autorisé à joindre à son nom. Nous venons d’en faire un académicien en remplacement d’Octave Feuillet. Je en connais pas l’homme, je en l’ai vu qu’une fois lorsqu’il est venu faire sa visite de candidat. L’attitude ne m’a pas plu, il prenait des poses étudiées en me parlant, de plus il avait un peu de rouge à la pommette, un peu de noir au bord des yeux ce qui m’a produit une impression peu favorable. Il traîne toujours à sa suite un grand diable de maître de marine qu’il appelle : Mon frère Yves, ce qui est le titre d’un de ses volumes. On demandait : que pensez-vous de mon frère Yves ? à Leconte de Lisle, qui répondit : « c’est un gaillard d’arrière ». Lorsqu’il se présente, la première fois, sur le fauteuil d’Augier, sa candidature fut mal accueillie par l’Académie ; le vent a changé ; le voilà des nôtres. Son élection tient à une cause futile. Il est lieutenant de vaisseau embarqué sur le formidable que commande Duperré. Au cours de cet hiver, la Ctesse d’Haussonville (d’Harcourt) étant à Hyères, visite le vaisseau amiral dont les honneurs furent fait très courtoisement par Pierre Loti. Elle revint enchantée, fit de la propagande en sa faveur près de son oncle le duc de Broglie, de son mari, de Vogüé etc. et lui constitua un groupe de partisans qui votèrent pour lui et autour duquel, la majorité de l’Académie, redoutant une élection nulle, se concentra au sixième tour. Pailleron avait fait campagne pour lui dès le décompte, ont-ils quelque raison d’être ? je l’ignore : l’amiral Miot m’a dit qu’ils les croyaient faux ; Brunet, ancien lieutenant de vaisseau, m’a dit que le doute n’était point possible ; Henri Carrey, capitaine de frégate, se contente de dire qu’il est peu aimé de ses camarades. 

Décide si tu peux et choisis si tu l’oses. Je n’ai aucune opinion à cet égard. Les Pêcheurs d’Islande me paraissent son maître livre. Je trouve son talent un peu superficiel, dénué d’invention, la décoration est jolie, d’une originalité parfois trop cherchée, mais en somme il manque de solidité et de profondeur. Il ne doit guère avoir plus de 40 ou 42 ans.

Il s’était retiré (11 décembre 1890) devant ma candidature de Freycinet sous prétexte que son devoir de soldat ne lui permettait pas de se mettre en rivalité avec le ministre de la Guerre. 

 

 

Pour en savoir plus sur Les Académiciens de mon temps, découvrez l’émission Canal Académies dédiée à l’édition des portraits et de la correspondance de Maxime Du Camp avec ses confrères par Thomas Loué : 

Maxime Du Camp épingle les académiciens de son temps | Canal Académies (canalacademies.com)

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