« N’y a-t-il point quelque danger à contrefaire le mort ? »

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Transcription écrite de l’entretien du 9 décembre 2022 avec les comédiens du Théâtre Espace Marais


Le vendredi 9 décembre, tous les élèves participant au projet sont allés voir Le Malade imaginaire par la Compagnie Sissia Buggy, au Théâtre Espace Marais. À la fin de la représentation, les comédiens ont accepté de répondre à nos questions.

Distribution : ARGAN : Guy Vareilhes / TOINETTE : Solange Labat / BÉLINE : Amélie Prévot / ANGÉLIQUE : Léa Betremieux / CLÉANTE : Thomas Weiss / MISE EN SCÈNE : Sissia Buggy, Joseph Morana

VIOLETTE : Combien de temps cela vous prend-il pour répéter et mettre en place une pièce ?

LE METTEUR EN SCENE : Tout dépend du temps qu’on a ! Parfois c’est un mois, parfois deux, parfois trois… Il y a des reprises de rôle qui se font en 24 ou 48h00. En moyenne, il faut quand même compter à peu près un mois.

BÉLINE : Le spectacle que vous venez de voir, cela fait très longtemps qu’il se joue dans ce théâtre. Les comédiens ont pu changer, mais la plupart d’entre nous l’avons déjà jouée avec d’autres compagnies. Donc finalement, on a commencé à le répéter bien avant !

LÉO : Êtes-vous une troupe de théâtre comme l’Illustre théâtre ?

LE METTEUR EN SCENE : La fameuse compagnie de Molière : la première troupe qu’il ait créée avec les Béjart ! Oui dans l’esprit, pas vraiment dans les faits. À l’époque de Molière, les comédiens d’une troupe vivaient beaucoup plus ensemble, ils se mariaient même au sein de la troupe !

BÉLINE : Cela dit, il y a un esprit de troupe : on ne joue pas que ce spectacle ensemble, on se retrouve aussi sur L’Avare, ou sur des pièces d’autres auteurs…

ANGÉLIQUE : Ce qui rend la relation de travail assez familiale et assez intime quand on est comédien, c’est que le théâtre est un métier où on montre beaucoup ses émotions. Une troupe de théâtre, c’est une famille de travail !

LÉO : Quand votre troupe a-t-elle été créée ?

LE METTEUR EN SCÈNE : La compagnie existe depuis 33 ans. Certains sont partis, d’autres sont arrivés à des moments différents. Moi je suis le plus ancien ! À la création de la pièce par Sissia Buggy par exemple, je faisais Argan. C’était il y a vingt ans ! Mais la mise en scène a quand même évolué. Par exemple, faire participer le public est un choix récent. Les dimensions de la salle et la jeunesse de notre public s’y prêtent bien, et c’est une bonne façon de moderniser les classiques !

CÉSAR L. : C’est quoi vos répliques préférées du Malade imaginaire ?

TOUTE LA TROUPE : « Vous voilà tout ébaubie. » ! « Il faut avoir tué bien des gens pour s’être fait si riche. » ! « Il ne faut point dire bagatelle. » ! « Ah ! voilà Madame ma femme ! ». « Le défunt n’est pas mort. » !

ADAM : Quels sont vos avis sur la mort de Molière ?

TOINETTE : Molière nous a laissé un héritage : la passion du théâtre !

LE METTEUR EN SCENE : Une légende a couru, selon laquelle Molière serait mort en jouant Le Malade imaginaire. C’est faux : il est mort après la dernière fois qu’il a joué Le Malade. Il est rentré chez lui et il est mort. Mais cette image d’un Molière qu’on emporte de la scène mourant, elle est très forte dans l’imaginaire collectif. Être comédien, c’est une vocation, comme être curé. On ne gagne pas des cents et des milles. C’est difficile. C’est une vie de sacrifices, alors on a envie de jouer jusqu’au bout.

TOINETTE : Cette légende, c’est comme un symbole de notre métier !

CÉSAR B. : Pensez-vous à la mort de Molière quand vous jouez le rôle d’Argan ?

ARGAN : « N’y a-t-il point de danger à contrefaire le mort ? » (Rire) Oui : on ne peut pas dire que j’y pense tout le temps, mais j’y pense en me préparant, parce que je sais que c’est le dernier rôle qu’il a joué, et qu’il y a mis tout son savoir-faire. On se sent une responsabilité. À cette époque, les comédiens n’avaient pas droit à des funérailles dignes : on était contents que les comédiens nous divertissent, mais on les considérait comme des moins que rien. Pour enterrer Molière, il a fallu faire intervenir des gens très puissants.

TOINETTE : Quelque part, on peut se demander si ce n’est pas Molière qui a relevé la place du comédien dans la société.

LINA : Allez-vous jouer Le Malade imaginaire pour les 350 ans de la mort de Molière le 17 février 2023 ?

ANGELIQUE : Le 17, ce sera Antigone. Mais on joue Le Malade le 16, la veille de l’anniversaire de sa mort.

TOINETTE : Et ce sera aussi mon anniversaire ! (Rires).

Le PROFESSEUR de la classe : Mais vous finalement, est-ce que vous pensez qu’il était malade quand il a écrit la pièce ?

TOUTE LA TROUPE : Ah oui !

LE METTEUR EN SCENE : C’est certain ! Dans toutes les pièces de Molière : il y a un pilier central. Dans L’Avare par exemple, c’est Harpagon. Mais pour Le Malade, Molière a dû se dire : « Je ne vais pas pouvoir tenir, il faut que quelqu’un prenne le relais ». Et c’est Toinette qui prend le relais, c’est Toinette le rôle principal !

TOINETTE : Quand on pense à la mort de Molière, cela donne une tonalité très particulière à la fin de la pièce.

LE METTEUR EN SCÈNE : Argan dit : « Ah non, je ne veux pas être mort ! », et c’est comme si Molière courait après ses derniers instants.

ARGAN : Et d’ailleurs quelque part, il n’est pas mort, car c’est l’auteur qui continue à être le plus joué sur scène. Et on est ravis de continuer à le faire vivre !

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Illustration de l’article :

Bannière : Une représentation du Malade imaginaire au Théâtre Espace Marais © Théâtre Espace Marais/Joseph Morana

Corps de l’article : Le café-concert à la Comédie-Française, dessin de Yves Marevery, début du XXe siècle © Gallica/BnF

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