Naissance d’Ernest Renan

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Par Yves Bruley, correspondant de l’Institut, directeur de France Mémoire


Fils de la Bretagne catholique, Ernest Renan est né à Tréguier le 27 février 1823. Remarqué par le clergé pour ses qualités intellectuelles, il va faire des études approfondies au séminaire, à Paris. Il y apprend l’hébreu biblique, ce qui bouleverse son existence.

D’Armorique en Phénicie

Après une crise religieuse, il renonce au sacerdoce en 1845 et se consacre à l’étude des langues sémitiques. Auteur d’une thèse sur Averroès, très tôt lauréat de l’Institut de France, il est élu dès 1856 membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. En 1861, il conduit une mission d’exploration archéologique au Liban, essentielle pour la redécouverte de la Phénicie antique. Le 2 décembre 1861 le voit réaliser sa grande ambition : il est élu au Collège de France.

Mais sa carrière y est aussitôt interrompue. Lors de sa leçon inaugurale, Renan a semblé remettre en cause la divinité de Jésus-Christ, « homme incomparable » qu’il faut « juger du point de vue de la science positive ». Sous la pression de l’Église catholique, le gouvernement de Napoléon III le suspend.

Dans le sillage de l’exégèse allemande, le projet de Renan est d’écrire une Histoire des origines du christianisme, dont le premier des sept volumes sera la Vie de Jésus. « J’ai tout raconté sans miracles », dira l’auteur. Publié en 1863, ce livre provoque un tollé parmi les catholiques. Le pape lui-même qualifie l’orientaliste français de « blasphémateur européen ».

Droit des nations ou politique des races ?

Après la guerre de 1870, Renan écrit un essai politique très critique sur la France de son temps, Réforme intellectuelle et morale (1871). Surtout, il prend ses distances avec la culture allemande, jusqu’alors très admirée. Il écrit à l’historien allemand Strauss : « Notre politique, c’est la politique du droit des nations ; la vôtre, c’est la politique des races : nous croyons que la nôtre vaut mieux. La division trop accusée de l’humanité en race, outre qu’elle repose sur une erreur scientifique, ne peut mener qu’à des guerres d’extermination. »

Le 11 mars 1882, il prononce sa célèbre conférence à la Sorbonne « Qu’est-ce qu’une nation ? ». « Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence d’une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de la vie. »

Inspirateur de l’École Pratique des Hautes Études fondée en 1868, président de la Société Asiatique, administrateur du Collège de France, Renan succède à Claude Bernard à l’Académie française en 1878. Il achève son Histoire des origines du christianisme en 1882, publie ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse en 1883 et fait enfin paraître, en 1890, L’avenir de la science, rédigé dès 1848. Il meurt au Collège de France le 2 octobre 1892.

De la récupération politique à l’idéal académique

Nonobstant ses penchants peu démocratiques, le savant libéral et anticlérical est devenu une référence intellectuelle de la Troisième République. Au plus fort de l’anticléricalisme d’État, Renan est annexé par Émile Combes à l’occasion de l’inauguration d’un monument à Tréguier le 13 septembre 1903. Le président du Conseil prononce un discours justifiant sa propre politique par la pensée du philologue, tandis qu’Anatole France, caution littéraire du combisme, décrit Renan « tout entier dévoué à la science, attendant le règne de la science et le salut du monde par la science ».

Grande figure de l’essor de l’orientalisme au XIXe, apôtre de la philologie comme « science exacte des choses de l’esprit », Renan fut admiré pour sa hauteur de vue, son immense connaissance des langues et des civilisations, même si certains disciples prirent très vite leurs distances avec ses théories. Il fut critiqué pour ses jugements péremptoires, son élitisme fondé sur sa conception de la science, sa tendance à romancer la vie de Jésus, et plus tard pour avoir justifié la colonisation européenne.

Renan reste un grand écrivain, un penseur de la nation, un esprit libre. L’Institut de France qui, sous Napoléon III, avait pu garantir la liberté intellectuelle de l’académicien alors qu’il était révoqué du Collège de France, lui rendit un hommage exceptionnel en 1992. Pour le centenaire de sa mort, une séance commune des cinq académies lui fut consacrée sous la Coupole.

 

À lire :

Henry Laurens (dir.), Ernest Renan. La science, la religion, la République, colloque annuel du Collège de France 2012, Paris, Odile Jacob, 2013.

Jean Balcou, Renan. Une biographie, Paris, Honoré Champion, 2015.

François Hartog, Renan. La nation, la religion, l’avenir, Paris, Gallimard, coll. « L’esprit de la cité », 2017.

 

 

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil : Estampe d’Anders Zorn © Bibliothèque nationale de France |Gallica

Illustration du chapô : Portrait d’Ernest Renan par Léon Bonnat (1892) © Musée Ernest Renan | Wiki Commons

Illustration de l’article : Coucher de soleil sur la côte bretonne, Ferdinand du Puigaudeau © Wiki Commons

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