Naissance d’Edmond de Goncourt

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Par Pierre-Jean Dufief, professeur émérite à l’université Paris-Nanterre, spécialiste de la littérature épistolaire et des journaux intimes


De noblesse récente (1786), fils d’un officier de l’Empire et d’une mère apparentée à la grande bourgeoisie parisienne, Edmond (1822-1896) et Jules (1830-1870) de Goncourt bénéficièrent d’une relative aisance qui leur permit de se consacrer entièrement à l’histoire, à la littérature et aux arts.

Une écriture à quatre mains

En 1854 et 1855, ils publient l’Histoire de la Société française pendant la Révolution puis l’Histoire de la Société française pendant le Directoire. Négligeant les récits de bataille et les grands événements, ils écrivent l’histoire sociale de la Révolution à partir d’une documentation nouvelle : journaux, brochures, autographes et gravures. Grands admirateurs du XVIIIe siècle ils composent des biographies : Sophie Arnould d’après sa correspondance et ses mémoires inédits (1857) et Histoire de Marie-Antoinette (1858), ainsi que des études sur les peintres et graveurs de cette époque.

En 1860 paraissent Les Hommes de lettres par la suite rebaptisés Charles Demailly, un roman à clés qui présente une image très critique des milieux de la bohème et du petit journalisme. Les deux frères s’inspirent de la vie de leur bonne Rosalie Malingre pour Germinie Lacerteux (1865), une œuvre novatrice qu’admira Zola et qui préfigure le naturalisme ; ils y décrivent le petit peuple, ses lieux de vie, ses distractions, accordant une place essentielle au corps, à la sexualité et à la maladie. Changement de décor avec Madame Gervaisais (1869), qui raconte, dans le cadre magnifiquement restitué de Rome, le développement d’une névrose religieuse, favorisée par la phtisie.

Les Goncourt font alterner les périodes de réclusion vouées à l’écriture avec une vie sociale active. En 1862, ils sont invités pour la première fois chez la princesse Mathilde et ils sont bientôt des habitués de son salon parisien et de sa maison de Saint-Gratien. Considérés comme des protégés de la princesse, ils sont victimes d’une cabale qui fait tomber leur pièce Henriette Maréchal, jouée à la Comédie-Française en décembre 1865.

Le Journal : un demi-siècle de vie littéraire

Les deux frères commencent à tenir leur journal le jour du coup d’état du 2 décembre 1851. Ils y font alterner anecdotes, portraits souvent au vitriol, talentueuses sténographies de conversations, médisances et propos parfois misogynes. Le Journal offre aussi des pages émouvantes sur la maladie de Jules qui meurt de la syphilis en juin 1870. Edmond y consigne une description documentée et souvent poétique du Siège de Paris et de la Commune. S’il s’apitoie sur les fusillés, il n’en prône pas moins une sévérité nécessaire au redressement de la France.

À partir de 1887, le public découvre des extraits de ce Journal, qui fait revivre un demi-siècle de vie littéraire (1851-1896) mais ne fut publié dans son intégralité qu’en 1956.

Edmond a entretenu quelques vraies amitiés, tout particulièrement avec Alphonse Daudet qui l’incite à reprendre la plume et à écrire La Fille Elisa (1877), un roman « naturaliste » dont l’héroïne, une prostituée meurtrière, est condamnée à la prison à vie et au silence perpétuel. Les Frères Zemganno (1879) font revivre le « couple fraternel » à travers l’histoire émouvante de deux clowns, deux frères en quête de tours particulièrement périlleux. Avec La Faustin (1882), roman d’une comédienne, qui renonce un temps à sa carrière, pour vivre le parfait amour avec un Lord anglais, Goncourt initie ce que l’on a appelé la « littérature fin-de-siècle ».

Les romans des deux frères se caractérisent par le goût des petits détails vrais et piquants souvent repris de leur Journal, par un grand sens des dialogues, par de belles pages de prose poétique, par une écriture artiste qui disloque la syntaxe et multiplie les néologismes pour mieux peindre les sensations dans leur immédiateté.

Edmond de Goncourt, protecteur des lettres

À l’initiative de Daudet, Edmond entreprend de ressusciter les Dimanches de Flaubert ; à partir de 1885, il reçoit régulièrement écrivains et artistes, dans le beau décor de son grenier d’Auteuil agrémenté de bibelots japonais, de dessins du XVIIIe siècle et de livres rares. Le « maréchal des lettres » protège les jeunes auteurs, les appuie, les conseille, les soutient et les cite dans son Journal.

Soucieux d’aider les débutants désargentés, Edmond a légué ses biens, à sa mort en 1896, pour fonder une académie et un prix, destinés à couronner l’œuvre en prose d’un jeune écrivain ; la vente de ses collections de précieux dessins du XVIIIe siècle, de ses bibelots japonais et de ses livres rares, rapporta une très grosse somme qui permit de financer le prix et de verser à chacun des dix académiciens une rente annuelle de 6000 francs (environ 20 000 euros). Aujourd’hui les rentes ont disparu et le prix, si largement médiatisé, ne rapporte plus que des droits d’auteur mais ses créateurs, romanciers, historiens de l’art, grands amateurs du XVIIIe siècle et de l’art japonais, mériteraient certainement de survivre aussi par une œuvre qu’admirèrent Proust, Thomas Mann, Nietzsche, Van Gogh et Toulouse-Lautrec.

 

À lire :

Jean-Louis Cabanès et Pierre Dufief, Les Frères Goncourt, Fayard, 2020

Edmond et Jules de Goncourt, Journal, 3 volumes, Bouquins, 1989

Cahiers Goncourt, Revue des études sur les Frères Goncourt, 1 volume par an (29 volumes publiés), Du Lérot.

 

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil : Portrait d’Edmond de Goncourt par G. De Nittis (1881) Archives municipales de Nancy, Fonds de l’Académie Goncourt, 4 Z © J.-Y. Lacôte

Illustration du chapô : Edmond et Jules de Goncourt, Caricature dans La Comète de Xavier Girard, dessinateur, 9 février 1868. BnF, département d’Histoire, Philosophie, et Sciences de l’homme, FOL-LC13-126, Numéro 2, 9 février 1868 © Bibliothèque nationale de France

Illustration de la notice générale : Charles Giraud, La salle-à-manger de la princesse Mathilde, rue de Courcelles, 1854 © WikiCommons

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