Naissance de l’historien de l’art Élie Faure

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Par Jean-Marc Terrasse, enseignant en histoire de l’art à l’Université du Temps Libre de Pau, directeur de l'Auditorium et des Manifestations culturelles du Musée Louvre entre 2004 et 2014, commissaire de l’exposition « Élie Faure, le sentiment de l’art ».


C’est dans une famille protestante que le futur historien d’art Élie Faure nait le 4 avril 1873, à Sainte-Foy-la-Grande en Dordogne et le protestantisme, dont il s’éloignera pourtant, restera cher à son cœur. 

De l’ascèse protestante à l’engagement socialiste

Son grand-père, le Pasteur Jacques Reclus est un homme dur et ascétique qui prêche la pauvreté et le partage. Sa mère Zéline Reclus et son père Pierre Faure, sont très croyants. Le 7 avril 1896 il épouse Suzanne Gilard, la fille très croyante elle aussi, d’un pasteur qui a été son enseignant au collège protestant de Sainte-Foy-la-Grande. Cet amour d’enfance durera jusqu’au bout, même si leur vie commune fut traversée de tempêtes. Deux de ses oncles, Élisée Reclus et Élie Reclus – son parrain bien-aimé –, sont des militants anarchistes et athées qui devront s’exiler en Belgique après avoir participé à la Commune de Paris. Influencé par eux, il se sent lui-même anarchiste et athée mais cet engagement évoluera rapidement vers le socialisme. L’Affaire Dreyfus est un déclic et un premier combat. Il en mènera bien d’autres, signant de nombreuses pétitions, soutenant de nombreux combats, proche de Léon Blum son condisciple du lycée Henri IV, militant antifasciste et président des Amis de l’Espagne, groupe de soutien aux Républicains. En 1937, l’année de sa mort, il campera aux portes du communisme mais son individualisme et son franc-parler l’auront empêché toute sa vie d’adhérer à un quelconque parti.

Influencé par son frère ainé Jean-Louis Faure, médecin et chirurgien, il devient à son tour médecin, passant sa thèse de doctorat en 1899. Ayant la même vocation sociale que son grand-père, il installera son cabinet dans un quartier populaire. Pour survivre, il aide son frère comme anesthésiste et devient embaumeur, activités plus lucratives que la médecine sociale. Il embaumera d’ailleurs nombre de gens célèbres.

La passion de l’art

Evidemment, sa grande affaire est ailleurs, on le sait : c’est l’histoire de l’art. Dès qu’il arrive à Paris au lycée, puis au cours de ses études médicales, la passion le prend : il passe son temps dans les galeries et les salons. L’art contemporain le fascine. Il va d’exposition en exposition, commence à fréquenter les ateliers d’artiste, prend des notes, discute avec tous ceux que le sujet intéresse. Et quand un poste de critique d’art se libère à « l’Aurore » en avril 1902 (décidemment c’est son mois !) il saute sur l’occasion et se fait engager dans le journal de Clémenceau qui a publié le « J’accuse » de Zola.  Il entre ainsi dans le monde parisien de l’art, fréquente artistes, galeristes, amateurs d’art, et écrivains. Certains, comme Eugène Carrière, Chaïm Soutine, Van Dongen et quelques autres deviennent ses amis. Il prend parti, défend ce et ceux qu’il aime, en attaque d’autres, parfois injustement, mais toujours avec sincérité. Dès 1903, son engagement social le pousse à donner des conférences dans des Universités populaires. Il le fait pendant plusieurs années, approfondissant ses connaissances d’autodidacte pour préparer ses interventions. C’est à partir de ces conférences qu’il écrit sa grande Histoire de l’art qui va le rendre célèbre. Elle paraît en cinq volumes, de 1909 (L’art antique) à 1921 (L’art moderne),  juste retardée par la guerre.

Histoire de l’art : une approche sensible

Son approche de l’art est d’abord sensible. Il faut, dit-il se confronter à l’œuvre pour la comprendre, pour l’aimer. Le reste, le savoir des spécialistes est secondaire. Il nuancera ensuite cette radicalité mais gardera ce point de vue qui rend son livre accessible à qui ne sait rien. Son talent d’écriture son lyrisme, la puissance imagée de ses textes restent ses meilleurs alliés aujourd’hui encore. Il publiera d’autres livres, des textes de catalogues, des préfaces, et il est l’auteur d’une importante correspondance qui nous en apprend autant sur lui que sur la vie culturelle et politique de son époque. Il est sensible à la modernité mais fait des choix qu’il exprime dans un texte polémique « L’Agonie de la peinture ». Il croit en l’avenir de l’art dans un monde sceptique, et le trouvera dans cet « art nouveau » qu’il aime passionnément parce qu’il allie créativité et technique : le cinéma.  Son autre passion, ce seront les voyages qu’il fera toute sa vie. Généralement seul, comme son grand périple de sept mois autour du monde en 1931.

Il fera une guerre courageuse de médecin au front, mais refusera de s’en glorifier, se rappelant aussitôt les épisodes dépressifs qu’elle a provoqués en lui.

Fatigué, surtout par ses combats politiques et malgré les moments où il se ressourçait dans la maison de Prats qu’il avait achetée au bord de la Dordogne, non loin de Sainte-Foy-la-Grande, il meurt d’une crise cardiaque dans son domicile parisien boulevard Saint-Germain, le 29 octobre 1937.    

À lire :

Édition intégrale :

Élie Faure (préf. Dominique Dupuis-Labbé), Histoire de l’art, Édition intégrale, Paris, Bartillat, 2016

Édition de poche :

Élie Faure, Histoire de l’art, T.I : L’art antique, Paris Gallimard, coll.”Folio Essais”, 1988

Élie Faure, Histoire de l’art, T.II : L’art médiéval, Paris Gallimard, coll.”Folio Essais”, 1988

Élie Faure, Histoire de l’art, T.III : L’art renaissant, Paris Gallimard, coll.”Folio Essais”, 1988

Élie Faure, Histoire de l’art, T.IV : L’art moderne I, Paris Gallimard, coll.”Folio Essais”, 1988

Élie Faure, Histoire de l’art, T.V : L’art moderne II, Paris Gallimard, coll.”Folio Essais”, 1988

Crédits photos : 

Illustration du dossier : Un vendredi au Salon des Artistes français, Jules-Alexandre Grün (1911) © Musée des Beaux-Arts de Rouen | WikiCommons

Illustration du chapô : Portrait par Nadar (vers 1900) © Gallica | BnF

Illustration de l’article : Nature morte aux sept pommes, Paul Cézanne (1877-1878) © Collection Sammlung Thaw | WikiCommons

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