Naissance de l’aliéniste Jean-Étienne Esquirol

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Par Michel CAIRE, psychiatre des hôpitaux, docteur en histoire, membre titulaire de la société médico-psychologique


Il est généralement admis que la psychiatrie est née autour de l’année 1800 avec Philippe Pinel, promoteur du Traitement moral, auteur du premier Traité médical consacré à la médecine mentale. Esquirol, considéré comme le premier aliéniste français, continuera la grande œuvre réformatrice tout en révisant utilement plusieurs aspects de la nosographie de son maître et en définissant les conditions de prise en charge des aliénés par un médecin spécial dans un établissement qu’il propose de nommer asile, où leurs droits seront protégés par une loi dont il est l’un des principaux initiateurs, promulguée le 30 juin 1838.

Contrarié par la Révolution, le jeune séminariste toulousain devient officier de santé

Né à Toulouse le 3 février 1772, Étienne Esquirol, neuvième d’une fratrie de dix, perd sa mère à l’âge de 18 mois et sera élevé par sa grand-mère maternelle. Son père, négociant de gros en étoffes et draperies, occupe diverses fonctions à la Bourse des Marchands et à la municipalité de Toulouse avant et pendant la Révolution, puis devient l’un des administrateurs de l’hôpital de La Grave.

Étienne fait ses études secondaires au Collège de l’Esquille à Toulouse et, se destinant à la prêtrise, entre au Grand séminaire de Saint-Sulpice à Paris. En septembre 1792, le Séminaire ferme ses portes. Étienne, de retour à Toulouse, aurait suivi quelques cours de médecine et fréquenté l’hôpital de la Bienfaisance, ci-devant de la Grave qui recevait, entre autres, des aliénés. Au printemps 1793, il est mobilisé comme officier de santé dans l’armée des Pyrénées Orientales et sert deux années à l’hôpital Lepelletier de Narbonne. Il aurait ensuite suivi des cours de médecine à Montpellier et, l’année suivante, à Toulouse.

À l’École de médecine de Paris, Esquirol suit les cours de Philippe Pinel

L’année 1798 marque une rupture dans la vie d’Esquirol, qui réussit le concours d’entrée à l’École de médecine de Paris. À partir de l’an VII, il suit l’enseignement dispensé notamment par Philippe Pinel, professeur de pathologie interne. L’année suivante, il fréquente la clinique de Corvisart à la Charité et celle de Pinel à la Salpêtrière. Cette rencontre est déterminante : comme lui Languedocien, ancien élève du Collège de l’Esquille, ancien clerc tonsuré, Pinel, médecin en chef de la Salpêtrière depuis 1795, s’attache à ce jeune officier de santé qui deviendra vite son disciple préféré. Il lui confie la rédaction de La médecine clinique… qui paraît en 1802 et aide son protégé à ouvrir début 1802 une maison de santé pour aliénés rue Buffon, en face de la Salpêtrière, qui connaît un rapide succès. En 1806, Royer-Collard lui est préféré comme médecin de Charenton, en dépit du soutien de Pinel. Son premier poste hospitalier est celui de « surveillant de la division des folles » à la Salpêtrière le 1er mai 1811, comme successeur de Jean-Baptiste Pussin. Fin 1812, il en devient le médecin ordinaire.

L’ancien disciple devient un chef d’école et un réformateur

La période 1817-1819 est décisive, qui voit l’émergence d’Esquirol en tant que chef d’école et comme défenseur d’une doctrine visant à substituer la notion médicale d’isolement à celle, judiciaire, d’interdiction, qui inspirera la loi de 1838. En 1817, il ouvre à la Salpêtrière le premier cours clinique sur les maladies mentales, où se pressent de nombreux élèves parmi lesquels ses futurs collaborateurs et successeurs de sa maison de santé, la presque totalité des futurs médecins des asiles, des maisons privées et des services d’aliénés des hôpitaux de Paris. C’est bien ainsi qu’Esquirol avait conçu son plan d’action, former des médecins aptes à répandre les lumières de la nouvelle science dans toutes les provinces et à y conduire des réformes dont il avait apprécié l’absolue nécessité lors de ses visites dans le Midi en 1809, dans l’Ouest en 1810 et dans les « hospices du Nord » de la France en 1817.

C’est ce qu’il développe dans un mémoire adressé en septembre 1818 au ministre de l’Intérieur : ces aliénés, « presque toujours victimes des préjugés, de l’injustice et de l’ingratitude de leurs semblables, […] Je les ai vus nus, couverts de haillons, n’ayant que la paille pour se garantir de la froide humidité du pavé sur lequel ils sont étendus. Je les ai vus grossièrement nourris, privés d’air pour respirer, d’eau pour étancher leur soif, et des choses les plus nécessaires à la vie. » [Des établissemens… 1819. Des maladies mentales…, 1838, II, 399-400].

Et lorsqu’une Commission « pour l’amélioration du sort des aliénés » est formée en février 1819 à l’initiative de François Guizot, directeur général au ministère de l’Intérieur sous l’autorité du ministre Decazes, Laffon de Ladébat, chef du Bureau des Hôpitaux y associe naturellement Esquirol et trois autres médecins, Royer-Collard, Pinel et Pariset. En février 1820, la chute du ministère Decazes après l’assassinat du duc de Berry est suivie de la démission de Guizot, et la volonté politique manifestée par la mise en place de la commission n’y survit pas. Les travaux de la commission, développés dans le Programme d’un hôpital consacré au traitement de l’aliénation mentale pour cinq cents malades des deux sexes publié en 1821 peuvent être considérés comme des travaux préparatoires à la loi de 1838.

La loi de 1838 marque l’accomplissement d’une brillante carrière

En 1825, Esquirol succède à Royer-Collard comme médecin en chef de Charenton, où il forme de nouveaux disciples parmi les élèves internes durant les quinze années suivantes. En reconnaissance de ses mérites, il a été nommé membre de l’Académie de médecine en 1820 et Inspecteur général de l’Université près les Facultés de médecine en 1823. Il sera encore élu en 1834 membre de l’Institut, à l’Académie des Sciences Morales et Politiques. À la fin de sa vie, il préside le Conseil d’hygiène publique et de salubrité du département de la Seine, dont il était membre depuis 1830.

En 1827, il a déménagé sa maison de santé à Ivry, où il réside ordinairement. Il meurt rue Buffon le 12 décembre 1840. N’ayant pas eu d’enfant, il lègue une belle somme à deux de ses neveux et à la Maison de Charenton pour y enrichir la bibliothèque, et le reste à son épouse Constance Carré, qui le rejoindra dans la tombe le 9 avril 1841.

 

À lire :

Ouvrages de Jean-Étienne Esquirol :

[Esquirol] Des établissemens des aliénés en France, et des moyens d’améliorer le sort de ces infortunés. Mémoire présenté à Son Excellence le Ministre de l’Intérieur en septembre 1818 par le docteur Esquirol, médecin de la Salpêtrière. Paris, Impr. de Mme Huzard, mars 1819 ; 43 p. [Publié in Des maladies mentales, 1838, II; 399-431]

Étienne Esquirol, Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal. Suivi de Mémoire historique et statistique sur la Maison royale de Charenton (1835). Paris, J.-B. Baillière, 1838, vol.1 (678 p.) et vol.2 (864 p.), accompagnées de 27 planches gravées.

Ouvrages sur Jean-Etienne Esquirol et sur l’histoire de la psychiatrie :

Jacques Postel, « Jean-Etienne Dominique Esquirol (1772-1840). Biographie », 173-181 ; in Jean-François Allilaire, dir., Jean-Etienne Dominique Esquirol. Une œuvre clinique, thérapeutique et institutionnelle. Levallois-Perret, Interligne, 2001; 202 p.

Michel Caire, Soigner les fous, Histoire des traitements médicaux en psychiatrie, Paris, Nouveau Monde éditions, 2019 ; 492 p.

 

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil : Pinel, médecin en chef de la Salpêtrière en 1795, Tony Robert-Fleury, 1876 © Wikimédia Commons

Illustration du chapô : Gravure d’un portrait de Jean-Étienne Dominique Esquirol, 1838 © Wikimédia Commons 

Illustration de la notice générale : Groupe de trois femmes alignées, gravure issue de Des maladies mentales, Jean-Etienne Esquirol, 1838 © Gallica – BnF

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