Naissance de Gérard Philipe

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Par Noëlle Giret, conservateur général à la Bnf, département des arts et du spectacle


Gérard Philipe naît dans une famille de notables des Alpes-Maritimes. Lui et son frère, Jean, connaissent une « enfance dorée » ensoleillée par Minou, leur mère, femme belle et excentrique.

La rencontre décisive avec Marc Allégret

En 1940, Gérard Philipe fait une rencontre décisive au Parc Hôtel Palace à Grasse que dirige son père, celle du cinéaste Marc Allégret, réfugié comme nombre d’artistes sur la Côte d’Azur. Celui-ci, grand découvreur de jeunes talents, a remarqué le jeune homme, à l’allure et au physique hors du commun. Au terme d’une audition, il lui conseille de s’inscrire au Centre des jeunes du cinéma à Nice puis au cours de Jean Wall à Cannes. En 1942, Gérard Philipe débute au théâtre dans Une grande fille toute simple, d’André Roussin, et l’année suivante, après une tournée avec la pièce d’André Haguet, Une jeune fille savait, devenu Gérard Philipe, il fait ses débuts au cinéma avec les frères Allégret.

En octobre 1943, Gérard Philipe s’installe à Paris, où il a suivi ses parents. Sa première apparition sur scène – dans le rôle de l’ange de Sodome et Gomorrhe – est unanimement remarquée par la critique, tandis que Jean Cocteau et René Clair saluent cet « ovni » théâtral. Face au succès qui ne se démentira plus, Gérard Philipe demeure circonspect, voire méfiant, attitude d’exigence envers lui-même qui sera la sienne durant toute sa carrière. Pièces et films se succèdent et se chevauchent : Caligula, d’Albert Camus, L’Idiot et Le Diable au corps, film qui en fait le porte-drapeau d’une génération. Ces succès que confirme encore sa prestation dans La Chartreuse de Parme ne lui ôtent pas le goût du risque : il met à profit sa notoriété pour défendre Les Épiphanies, œuvre d’un jeune poète que d’aucuns trouvent obscur, Henri Pichette, et soutient Une si jolie petite plage, film noir et désespéré d’Yves Allégret. Après bien des hésitations, il tourne dans La Beauté du diable, de René Clair. En dépit de l’échec du film Juliette ou la clef des songes, en 1951, sa carrière cinématographique reste brillante, mais son activité théâtrale est plus incertaine.

L’aventure collective du Théâtre National Populaire

Alors que lui est offert le choix entre la Comédie-Française ou la Compagnie Renaud-Barrault, Gérard Philipe se tourne vers Jean Vilar, comédien-metteur en scène sans théâtre, et décide de participer au Festival d’Avignon, que Vilar a créé quatre ans auparavant. Son apparition dans Le Cid et Le Prince de Hombourg, dans la nuit avignonnaise, demeure pour ceux qui en furent les témoins un intense moment de bonheur et d’émotion. Entré au Théâtre national populaire, dont Vilar a pris la direction, Gérard Philipe refuse dès lors tout engagement théâtral extérieur et adhère pleinement aux missions que s’est fixé le TNP : une aventure collective sans vedettariat, marquée par la rigueur et la simplicité au service d’un public élargi à toutes les classes sociales. Un public chaleureux qui toujours lui saura gré de ce choix, sensible au fait qu’une vedette de cinéma abandonne des cachets fastueux et suive le TNP en banlieue et en province, dans des salles de fortune, pour des représentations accompagnées de débats. Épaulé par Vilar, qui à l’instar de René Clair fait à la fois office de père, de frère et de « maître à réfléchir », il signe ses premières mises en scène : Nucléa, d’Henri Pichette, Lorenzaccio, d’Alfred de Musset, et La Nouvelle Mandragore, de Jean Vauthier. Parallèlement, sa carrière cinématographique connaît une dimension internationale lorsque, sous la direction de Christian-Jaque, il devient Fanfan la Tulipe, le charmeur, batailleur et frondeur.

L’engagement personnel, social et artistique

Le 29 novembre 1951, Gérard Philipe a épousé Nicole Fourcade, qui prend le nom d’Anne Philipe. Journaliste, cinéaste et ethnologue, celle-ci accompagne Gérard Philipe dans ses voyages aux deux bouts de la planète où le conduisent tournages, tournées théâtrales et festivals de cinéma. L’acteur est accueilli partout comme une figure majeure de la culture française. Le couple met à profit ces voyages pour explorer les contours politiques et sociaux des pays qui les reçoivent.

En 1953, Gérard Philipe, la trentaine venue, s’éloigne des rôles de jeune premier romantique où le cinéma dominant de l’époque tente de l’enfermer, pour se tourner vers des rôles de composition, voire des contre-emplois. Il est tour à tour le médecin alcoolique et déchu des Orgueilleux, le bellâtre des Grandes Manœuvres, le boutiquier cynique de Pot-Bouille, le secrétaire faible et inconsistant de La Fièvre monte à El Pao. Précédant la Nouvelle vague, il révèle ses dons d’improvisation dans Monsieur Ripois. Il donne toute sa mesure de tragédien dans Montparnasse 19. Son goût de mettre en scène l’amène parallèlement à ralentir son activité théâtrale pour réaliser son premier film, Les Aventures de Till l’Espiègle, projet qu’il a porté en lui de longues années mais qui ne rencontre qu’un succès moyen. Revenu au TNP en 1958, il interprète son auteur de cœur, Alfred de Musset, dans Les Caprices de Marianne et On ne badine pas avec l’amour, marquant de son empreinte pour de longues années les rôles d’Octave et de Perdican après celui de Lorenzaccio. Mais pour lui, c’est l’adieu à Musset. Il se sent prêt à aborder d’autres rôles du répertoire, dont le Hamlet de Shakespeare que lui réclame Jean Vilar.

Gérard Philipe, emblème d’une génération

Le 25 novembre 1959, Gérard Philipe meurt à Paris, d’un cancer primaire du foie. Le lendemain, la une des journaux du monde entier annonçait sa disparition. Le fait qu’il fut emporté par un cancer foudroyant à l’âge de 37 ans, en pleine gloire, qu’il eut pour lui jeunesse et beauté, ne saurait expliquer à lui seul cette émotion planétaire et la manière dont perdure son souvenir. Car au-delà de la star de cinéma déplaçant les foules de Paris à Pékin, et de Tokyo à Hollywood, Gérard Philipe était perçu comme un homme généreux et discret, militant pour la défense de son métier, un homme engagé à l’écoute des grands mouvements politiques et sociaux de son époque. Et c’est bien cette immersion dans les utopies de cet après-guerre dont il fut l’un des emblèmes qui lui fait échapper au statut fragile et éphémère d’icône pour papier glacé.

Source: Commémorations Collection 2009

À voir :

Le Diable au corps, de Claude Autant-Lara

La Chartreuse de Parme, de Christian-Jaque

La Beauté du diable, de René Clair

Fanfan la Tulipe, de Christian-Jaque

Monsieur Ripois, de René Clément

Crédits photos : 

Illustration de la page d’accueil : Affiche du Diable au corps, de Claude Autant-Lara, d’après le roman éponyme de Raymond Radiguet, 1946  © Notrecinema / Transcontinental Film – Droits réservés

Illustration du chapô : S.Kragujevic, Gérard Philipe, 1955 © WikiCommons

Illustration de la notice générale : The movie poster of “Le Diable au corps” (肉体の悪魔) from Eiga no Tomo (November 1952) © WikiCommons

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