Hommage à Edmond Fleg

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Par Haïm Korsia, Grand Rabbin de France, membre de l’Académie des sciences morales et politiques


C’est pour moi plus qu’un honneur, un devoir sacré, de rendre à Edmond Fleg l’hommage vibrant qui lui revient à l’occasion des cent cinquante ans de sa naissance.

Cet immense poète, philosophe, essayiste, librettiste est exemplaire car il fut dans ce XXe siècle tourmenté et violent, le chantre éclairé du judaïsme, d’un judaïsme généreux et ouvert.

Né en Suisse, d’une famille d’Alsaciens qui avaient fui l’Alsace après la défaite de 1870 pour ne pas être allemands, venu à Paris pour y poursuivre des études brillantes à l’École Normale Supérieure, c’est le choc provoqué par l’affaire Dreyfus et tout ce qu’elle sous-tendait de haines et d’antisémitisme qui le ramenèrent à sa judéité. Il ne s’est pas « converti » au judaïsme, il a retrouvé dans sa mémoire profonde, ancestrale, son identité de Juif.

Alors il n’a eu de cesse d’approfondir sa connaissance de cet héritage, de le faire sien, et de l’éclairer pour les autres, qu’ils soient Juifs ou simplement humains de bonne volonté, de le connaître et le comprendre pour mieux le transmettre. Son œuvre littéraire, poétique, comme de traducteur de la Bible en français témoigne tout au long de sa vie, de cet enthousiasme militant, proclamé déjà dans un de ses premiers poèmes « Pourquoi je suis Juif » où sa pensée limpide nous expose la richesse de son engagement, sa fierté d’être juif, l’apaisement des retrouvailles avec ses vraies racines.

Disons seulement ces quelques vers : « Je suis juif, parce qu’en tous lieux où pleure une souffrance, le Juif pleure. Je suis juif, parce qu’en tous temps ou crie une désespérance, le Juif espère. Je suis juif, parce que la promesse d’Israël est la promesse universelle. Je suis juif, parce que, pour Israël, l’Homme n’est pas créé : les hommes le créent ». Son souci de mettre sa foi, sa fidélité au judaïsme à la portée de tous, de toucher la jeunesse, l’accompagne aussi dans ses actions, notamment à la présidence des Éclaireurs israélites de France créés par son ami Gamzon.

Car c’est bien la France qu’il a choisie comme patrie. Engagé dans la Légion étrangère pendant la Première Guerre mondiale, il est naturalisé français en 1921. Il a suivi et participé aux débats suscités par l’émergence du Sionisme mais a toujours défendu l’épanouissement que la Diaspora peut susciter dans la communauté juive, comme la proximité des vertus prônées par la Torah de celles défendues par la Révolution française.

Liberté, égalité, fraternité, sont des valeurs essentielles qui l’amènent en particulier à fonder, avec Jules Isaac, les Amitiés judéo-chrétiennes où il œuvre pour affirmer la fraternité et l’égalité qui réunissent ces deux cultes issus du Livre. Mais ce qui est essentiel dans le message d’Edmond Fleg, c’est l’espérance qui guide et conforte sa vie, et qu’il veut partager, avec sa communauté, avec la jeunesse, avec l’humanité ; malgré le malheur, les peines, les deuils, les souffrances infinies, il a su faire chanter l’espérance.

Il sait la souffrance, il l’a vécue dans sa chair et dans son âme de père qui a perdu ses deux fils, de Juif qui a vécu l’horreur de la Shoah ; mais il sait aussi la bonté et la justice divines, l’espoir et la fierté d’appartenir au peuple élu. Dans un poème saisissant, « La vision d’Isaac », il dit l’effroi d’Isaac, au soir de sa vie, devant la situation du peuple juif confronté aux malheurs qui l’accablent, sa crainte de l’abandon de Dieu, « et nous levons au ciel nos mains épouvantées »,

Quelle justesse dans le regard porté sur la condition humaine, quelle espérance dans la sublimation des « tristesses profondes » qui humanisent l’être créé à l’image de Dieu : « Je suis juif, parce que, pour Israël, l’Homme n’est pas créé : les hommes le créent. »

Comment ne pas conclure cet hommage par ces vers ?

Crédits images 

Illustration d’accueil Edmond Fleg : The Angel Appearing to Zacharias, William Blake, 1799-1800 © Met Museum

Illustration du chapô : Edmond Fleg à l’École normale supérieure rue d’Ulm, Paris, 1895. Promotion lettres. Archives ENS. © Wikimedia Commons

Illustration de l’article : Portrait photographique d’Edmond Fleg par Henri Manuel, vers 1930.© Wikimedia Commons

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