Mort de Pierre Loti

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Par Alain Quella-Villéger, historien, biographe de Pierre Loti


Autour de Pierre Loti, officier de marine, éternel nomade, grand séducteur, organisateur de fêtes somptueuses dans une maison spectaculaire, se développa un véritable mythe. Lors de ses funérailles nationales, certains ont cru perdre en lui « notre dernier écrivain mondial ». Ne fut-il pas proposé pour le prix Nobel de littérature dans les années 1910 ? On célèbre aujourd’hui le centenaire de la mort, le 10 juin 1923, de cet académicien français reçu sous la Coupole le 7 avril 1892. « On devrait mentir en racontant la vie de Pierre Loti, on devrait dire aux jeunes gens : vivait jadis un écrivain que l’on admirait tellement dans son pays qu’une escadre l’accompagnait quand il faisait le tour du monde… » (Sacha Guitry)

La mer et la plume

Né à Rochefort (17) le 14 janvier 1850 et issu d’une famille de petite bourgeoisie protestante désargentée, benjamin tardif arrivé après sa sœur Marie, peintre, et son frère Gustave trop tôt disparu en mer, le jeune homme opte pour la carrière maritime.

Son premier voyage date d’août 1868 sur les côtes bretonnes et normandes, suivi d’une campagne d’instruction sur le Jean-Bart qui le mène en Méditerranée et lui fait traverser l’Atlantique (octobre 1869-août 1870). La Guerre de 70 le conduit en Baltique (hiver 1870-1871). Après l’Amérique du Sud, voici le Pacifique (île de Pâques, Polynésie ; sur Le Vaudreuil, puis La Flore, mars 1871-fin 1872) qui en fait un reporter pour Le Monde illustré et d’où il rapporte la matière du futur Mariage de Loti (1880) ainsi que son futur pseudonyme, LOTI, un nom de fleur tahitienne.

On le trouve au Sénégal en 1873, ce qui lui inspire Le Roman d’un spahi (1881), mais l’étape décisive de sa vie, après Salonique en mai-août 1876, se nomme Constantinople (août 1876-mars 1877) : une histoire d’amour avec une jeune Circassienne lui inspire son premier roman, Aziyadé (1879) et sa passion définitive pour sa « deuxième patrie », la Turquie.

Les amours de Loti

Avec les galons et les campagnes de guerre en Adriatique, puis au Tonkin, les années 1880 apportent à Julien Viaud la notoriété littéraire – dont les droits d’auteur remboursent les dettes familiales –, avec le succès de Pêcheur d’Islande (1886, deuxième roman « breton » après Mon frère Yves, 1883). Le mariage en 1886 avec Blanche Franc de Ferrière ne le retient pas. D’Indochine en 1883, il envoie des reportages réalistes sur les combats de Hué qui le font rappeler en métropole, mais retourne en Extrême-Orient dès 1885, au Japon notamment et cela nous vaut Madame Chrysanthème (1887).

Suivent des pérégrinations terrestres qui le conduisent en Roumanie en 1887 et 1890 (lire L’Exilée), à Constantinople en octobre 1887 (Fantôme d’Orient, 1890) ainsi qu’en mai 1890, au Maghreb avec le diplomate Patenôtre en mars 1889 (Au Maroc, 1890). Les affectations maritimes le maintiennent près des côtes françaises, en Méditerranée et au Pays basque (sur la canonnière stationnaire de la Bidassoa, à Hendaye. Lire Ramuntcho, 1897). Il voyage en Terre sainte en 1894 (Le Désert, Jérusalem, La Galilée), à Constantinople encore, puis à Madrid (1898), Berlin (1899) et s’offre un grand périple à travers l’Inde, la Birmanie (Rangoon) et la Perse en 1899-1900 (L’Inde sans les Anglais, 1903 ; Vers Ispahan, 1904).

Visions d’Orient

Capitaine de frégate, le voici nommé aide de camp du vice-amiral Pottier en Indochine et dans les mers de Chine (son séjour chinois donnera Les Derniers jours de Pékin, 1902) et sur les côtes japonaises. Au retour (novembre-décembre 1901), il s’offre une excursion aux temples d’Angkor (Un pèlerin d’Angkor, 1912). En recevant le commandement de l’aviso-stationnaire Vautour sur le Bosphore, c’est la Turquie aimée qui l’accueille à nouveau (septembre 1903-mars 1905), durant lequel une supercherie littéraire lui fait écrire Les Désenchantées (1906). Son intérêt pour le monde musulman ne se dément pas ; il est invité en Égypte en janvier-mai 1907 (La Mort de Philae, 1909) et, après une visite inattendue aux Londoniens, revient s’installer quelques semaines à Istanbul durant l’été 1910 (Suprêmes visions d’Orient).

Derniers voyages

La mise en scène à New York de sa pièce La Fille du Ciel (en collaboration avec Judith Gautier) lui fait traverser une dernière fois l’Atlantique. 1913 le retrouve en Turquie, reçu en libérateur pour avoir soutenu la cause turque dans les Guerres balkaniques. Son dernier voyage à l’étranger le conduit en Italie en 1917, la Grande Guerre lui inspirant par ailleurs plusieurs volumes de récits cocardiers.

La fin de son existence est brisée par une hémiplégie qui le frappe au printemps 1921. Pierre Loti n’est pas mort à Rochefort, quitté quelques jours plus tôt, mais dans sa maison d’Hendaye, le 10 juin 1923. Des funérailles nationales, le 16 juin, l’accompagnent jusqu’à Saint-Pierre-d’Oléron, où il repose seul dans le jardin de sa « Maison des Aïeules ».

En raison de son style impressionniste, de l’exotisme qui en émane, de son original regard porté sur le monde, l’œuvre de Pierre Loti exerce jusqu’à aujourd’hui un grand pouvoir de fascination : « Il y a derrière ses livres le vide qu’il y a dans le ciel, mais c’est par là qu’il est unique. Il s’est mêlé aux éléments : c’est l’air, c’est la pluie, c’est la terre qui parlent. » (Julien Green)

À lire :

Ouvrages critiques

Alain Quella-Villéger, Pierre Loti. Une vie de roman, Paris, Calmann-Lévy, 2019 (Grand Prix Jules Verne 2020)

Pierre Loti, Le Monde, en passant – Reportages (1872-1917), réunis et présentés par A. Quella-Villéger & Bruno Vercier, Paris, Calmann-Lévy, 2023

Pierre Loti, Mon mal, j’enchante. Lettres d’ici et d’ailleurs (1866-1906), réunies et présentées par A. Quella-Villéger & Bruno Vercier, Paris, La Table Ronde, 2023

Pierre Loti en cinq titres

Aziyadé suivi de Fantôme d’Orient, Monaco, Édition du Rocher, 2023 (à paraître)

Pêcheur d’Islande, édition critique collective illustrée, Saint-Pourçain-sur-Sioule, Bleu autour, 2018.

Mon frère Yves, édition critique collective illustrée, Saint-Pourçain-sur-Sioule, Bleu autour, 2020

Journal, Les Indes savantes, 5 vol., 2006-2017

Les Dernier Jours de Pékin, édition critique, Paris, Magellan et Cie, 2021

Crédits images :

Bannière de la page d’accueil : Winslow Homer, Lumière sur la côte, 1890 © WikiCommons/Musée d’art de Tolède 

Illustration du chapô : Portrait de Pierre Loti en officier, par Marie Bon, huile sur toile, 1889 © Gallica / Maison de Pierre Loti/Musées de Rochefort 

Bannière de l’article : Istanbul vu du port, Agence Rol, 1915 © Gallica/BnF

 

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