Mort de Napoléon III

RETOUR AU DOSSIER

Par Yves Bruley, correspondant de l’Institut, directeur de France Mémoire


« Nous nous bornerons à constater ici qu’avec la mort du chef du second empire un des partis qui nous divisent vient d’être mis hors de cause. »

Une mort entre indifférence et hostilité

Tel fut l’éloge funèbre paru dans le journal L’Opinion nationale au lendemain de la mort de l’Empereur déchu Napoléon III, le 9 janvier 1873. Tous les commentateurs ne furent pas aussi laconiques mais beaucoup furent au moins aussi ironiques. Dans La Gironde, on pouvait lire :

« Une légère hausse à la Bourse, voilà tout l’effet produit par la mort de l’homme qui a le plus profondément troublé l’Europe dans la seconde partie de ce siècle. La destinée a parfois de ces dérisions. Rien, d’ailleurs, que de très naturel dans cette indifférence. Ce qui s’est éteint hier, c’est l’individu, l’homme privé ; quant au souverain, au personnage historique, il n’existait plus depuis Sedan. »

L’homme qui venait de s’éteindre à Chislehurst, dans le Kent, exilé en terre anglaise, n’était pourtant pas n’importe quel « homme privé ». Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, cet homme qui devait être le premier président de la République française puis le dernier monarque de l’histoire de France, était entré dans l’histoire au milieu de la nuit du 20 au 21 avril 1808. Il était né dans le Palais des Tuileries à l’apogée de l’Empire, son oncle Napoléon étant empereur des Français et maître de l’Europe, sa tante Joséphine – et aussi grand-mère – impératrice, son père Louis et sa mère Hortense roi et reine de Hollande.

Prince exilé, prisonnier et président

Exilé à six ans, il connaît une jeunesse très internationale, en Allemagne, en Suisse, en Italie, mais aussi en Angleterre et même brièvement aux États-Unis. Voyant le régime du roi Louis-Philippe s’emparer à son seul profit de la légende napoléonienne, Louis-Napoléon se révolte contre cette captation d’héritage et tente de soulever la population contre la monarchie orléaniste. Condamné à la prison, il bâtit sa pensée politique avant de s’évader. La révolution de 1848 lui permet d’envisager la conquête du pouvoir. Candidat à la première élection présidentielle au suffrage universel, il est élu le 10 décembre 1848 avec 75% des voix. L’impossibilité de se représenter pour un second mandat le conduit à renverser la République. Le coup d’État du 2 décembre 1851 restera jusqu’à nos jours le « crime » dénoncé par Victor Hugo et tant d’autres, d’autant plus qu’il est suivi par l’instauration d’un régime autoritaire et oppressif. Peu de régimes de cette nature, pourtant, ont su se libéraliser de leur propre initiative. C’est le cas du Second Empire. Mais en 1870, alors que les libertés ont été rétablies, la défaite militaire contre la Prusse à Sedan conduit à l’effondrement du régime. Napoléon III restera l’homme du 2 décembre et celui de Sedan.

Captif en Allemagne jusqu’en mars 1871, l’empereur déchu rejoint son épouse et son fils pour vivre dans un cottage non loin de Londres, à Chislehurst. La maladie de la vessie dont il souffre depuis longtemps s’aggrave. Une première opération a lieu le 2 janvier 1873 et une seconde le 6. Mais le 9, Napoléon III s’éteint. Son mausolée est à l’abbaye de Farnborough, dans le comté du Hampshire.

Jugement politique et connaissance historique

« Les explications de l’histoire ne sont pas les arrêts de la justice », avait écrit Guizot dans ses Mémoires. C’est pourtant sous forme de jugement que l’histoire de Napoléon III et de son règne ont été longtemps abordés. La Troisième République s’est logiquement fondée sur la condamnation du Second Empire. Il a fallu attendre longtemps avant que n’émerge une histoire plus savante que politisée. L’Université s’est intéressée aux aspects économiques et sociaux du règne de Napoléon III. On a étudié plus froidement son système politique et sa diplomatie. Un Dictionnaire du Second Empire a paru en 1995 sous la direction de Jean Tulard. Puis les biographies, les monographies et les synthèses sur le Second Empire se sont multipliées. Des expositions sur cette période attirent les foules. Napoléon III est aujourd’hui mieux connu et des recherches historiques nouvelles continuent d’être produites.

Qu’il rebute les uns ou passionne les autres, Napoléon III est vu à juste titre comme l’une de ces rares figures qui concentrent à elles seules presque tous les grands enjeux et les grandes questions du XIXe siècle. Mais il en pose aussi de très actuelles, tant certains régimes politiques autoritaires d’aujourd’hui peuvent rappeler les souvenirs les plus sombres du bonapartisme. Enfin Napoléon III fascine aussi parce que sa personnalité reste profondément énigmatique. Chaque génération continuera de l’interpréter à sa manière car, pour les historiens, le dernier empereur des Français reste encore « le Sphinx des Tuileries ».

À lire :

Jean Tulard (dir.), Dictionnaire du Second Empire, Paris, Fayard, 1995

Éric Anceau, Napoléon III, Paris, Tallandier, 2008

Quentin Deluermoz, Le crépuscule des révolutions. 1848-1871, Paris, Seuil, 2012

Jean-Claude Yon, Le Second Empire. Politique, société, culture, Paris, Armand Colin, 2022

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil : La commission du musée Napoléon présente à leurs Majestés Impériales au Palais de Saint Cloud les plans du musée fondé à Amiens par l’Empereur, par Joseph-Désiré Court, vers 1860 © WikiCommons

Illustration du chapô : Louis-Napoléon, incarcéré au fort de Ham, fait une expérience de physique. Estampe dessinée par Philippoteaux et gravée par E. Leguay, extraite de l’ouvrage de Paul Lacroix, Histoire politique, anecdotique et populaire de Napoléon III, empereur des Français, et de la dynastie napoléonienne, vol. 2, Paris, Dufour, Mulat et Boulanger, 1853 © WikiCommons

Illustration de l’article : Napoléon III sur son lit de mort à Chislehurst en Angleterre, auteur inconnu © WikiCommons

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