Mort de Marcel Pagnol
RETOUR AU DOSSIERPar Marion Brun, professeure agrégée de lettres en classe préparatoire, docteure en littérature française
La biographie de Marcel Pagnol semble suivre le plan parfait d’un exercice de rhétorique : il mène trois carrières, au théâtre, au cinéma, en littérature, qui recoupent trois périodes de sa vie personnelle avec trois muses, Orane Demazis, Josette Day et Jacqueline Bouvier. Son œuvre s’ouvre avec Les Marchands de gloire et se clôture avec La Gloire de mon père, dans un chiasme presque parfait. Cet homme-époque parcourt le début du xxe siècle, en incarnant la IIIe République et ses instituteurs avec Topaze, les années folles au temps du Charleston avec Jazz, ou les deux guerres mondiales dans Les Marchands de gloire et La Fille du puisatier.
Alors même qu’on célèbre le cinquantenaire de sa mort, c’est surtout son année de naissance dont Pagnol fait une date symbolique : « Le cinéma et moi sommes nés le même jour, au même endroit ». Comme il le raconte dans son autobiographie, si ce n’est pas Louis Lumière qui le prédestine à un destin glorieux au cinéma, c’est l’Abbé Barthélémy (né lui aussi sur les routes d’Aubagne et élu à l’Académie comme lui un 5 mars) qui lui assure une avenir d’illustre à l’Académie Française.
Du dramaturge au cinéaste
À la manière des exploits cynégétiques de son père, qui a su abattre deux bartavelles à la fois, Marcel Pagnol entre dans la célébrité par un coup double : deux succès dramatiques le couronnent comme auteur dramatique de premier plan en 1928, Topaze et Marius. Ce triomphe, comparable à la première de Cyrano de Bergerac, le consacre comme auteur de théâtre de boulevard.
Pourtant, en 1931, Marcel Pagnol devient un « paria » : il trahit le théâtre en passant au cinéma parlant. Il annonce alors la mort du théâtre et le début d’une nouvelle ère dramatique à l’écran. De 1931 à 1954, il adapte non seulement ses œuvres, comme la fameuse trilogie marseillaise mais aussi entame son cycle gionien, avec Regain, La Femme du boulanger et Angèle. Premier cinéaste à sortir un film après la débâcle (La Fille du puisatier), il est aussi le premier cinéaste français à faire un film en couleurs avec des procédés techniques français (La Belle Meunière) ou à faire entrer les caméras et le cinématographe sous la coupole. S’il est pionnier, c’est sans doute par ses méthodes que l’on a qualifiées a posteriori de néoréalistes après les avoir décriées comme étant du « théâtre filmé », mais aussi par la création de son empire et industrie, qui le rend indépendant. La Nouvelle Vague reconnaît l’engagement de Pagnol pour défendre l’auctorialité au cinéma.
Une carrière romanesque tardive
Ce n’est pas tant sa carrière cinématographique qui reste dans les mémoires mais l’auteur à dictées des Souvenirs d’enfance. Il commence pourtant cette carrière romanesque à 62 ans, car, explique-t-il, il faut qu’il devienne sérieux, qu’il écrive des livres. Dans cette même période, Pagnol signe une traduction des Bucoliques et inscrit son cycle autobiographique dans un paysage virgilien. Ce cycle romanesque, décliné sur disques et lu à la radio, le fait ressembler à un conteur, à un grand-père à son mas racontant à ses petits-enfants ses aventures de jeunesse.
Marcel Pagnol, qui a aussi touché à la mécanique, aux mathématiques et à l’agriculture, connait une carrière protéiforme qui suscite l’admiration. Cette biographie n’empêche pas de laisser fleurir des discours qui ternissent sa postérité. Ne fait-on pas rimer galéjade et pagnolade, pagnolesque et grotesque ? Son œuvre, comique, populaire, régionale, qui fait résonner le français avec l’accent, demeure une Pagnolie un peu à part dans le canon littéraire, dramatique et même cinématographique.
Vers d’autres commémorations et relectures ?
Ces temps de commémoration et ces dates d’anniversaire, qui permettent des relectures, viendront peut-être infléchir ou modifier encore cet imaginaire. Ferons-nous l’éloge du genre littéraire qu’il a essayé d’inventer en publiant ses scénarios ? Verrons-nous la modernité d’un auteur qui mélange les médias, transfuse les arts, en mélangeant les supports, sur livre, disque et écran ? Se souviendra-t-on finalement d’une littérature environnementale avant l’heure, qui défend la préservation d’un territoire, les collines des alentours de Marseille ? La comédie musicale Manon des sources qui devait commémorer aussi cet anniversaire cherchait à relire le diptyque de L’Eau des collines dans ce sens, comme une fable de la sécheresse. Elle mettra également en scène une jeune femme libérée, qui se défend de l’emprise des hommes et des villageois, faisant de cette œuvre un manifeste féministe. Les objets dérivés de son œuvre ont pourtant tôt fait de folkloriser sa figure : les eaux de parfum fleurent bon la Provence authentique, ou les gibecières et couteaux cherchent à faire revivre la partie de chasse de La Gloire de mon père. Le musée d’Allauch en cours de construction ouvrira certainement une nouvelle ère pour recevoir Pagnol autrement, hors peut-être d’une vocation régionale, à l’aune de Charlie Chaplin, comme l’écrit son petit-fils Nicolas Pagnol.
À lire :
Œuvres :
Marcel Pagnol, Œuvres complètes, t. I-III, Paris, Éditions de Fallois, 1995.
Marcel Pagnol, J’ai écrit le rôle de ta vie, Paris, Robert Laffont, 2015.
Marcel Pagnol, Je te souhaite beaucoup d’ennemis comme moi, Paris, Robert Laffont, 2017.
Ouvrages critiques :
Brett Bowles, Marcel Pagnol, Manchester, Manchester University Press, coll. « French film directors », 2012.
Marion Brun, Marcel Pagnol classique-populaire : réflexions sur les valeurs d’une œuvre intermédiale, Paris, Classiques Garnier, 2019.
Guy Chapouillé dir., Marcel Pagnol un inventeur du cinéma, Paris, Téraèdre, 2010.
Crédits images :
Illustration d’accueil : Tournage de la Trilogie marseillaise de Marcel Pagnol © Collection privée de la famille Pagnol
Illustration du chapô : Marcel Pagnol en habit d’académicien © Collection privée de la famille Pagnol
Illustration de l’article : Tournage du film La fille du puisatier de Marcel Pagnol © Collection privée de la famille Pagnol
Illustration de la bibliographie : Affiche de la pièce Marius de Marcel Pagnol © Collection privée de la famille Pagnol