Mort de Madeleine Brès

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Par Natalie Pigeard-Micault , docteure en épistémologie et histoire des sciences


Rien ne destinait Madeleine Brès à devenir celle qu’on appellera la « doyenne des femmes-médecins de France ». Magdeleine Gebelin est née le 26 novembre 1842, dans le village de Bouillargues dans le Gard d’un père charron et d’une mère au foyer. Son père l’amène parfois avec lui, là où sa profession le demande, notamment à l’hôpital de Nîmes. Les sœurs de l’hôpital acceptent que l’enfant les suive dans les soins qu’elles prodiguent. Madeleine Brès raconte que son désir de devenir médecin date de ces temps. Pourtant, scolarisée jusqu’à l’âge de 10 ans, elle est loin d’avoir l’instruction nécessaire pour espérer un jour réaliser son rêve. À quinze ans, elle fréquente un employé des chemins de fer, Adrien Brès, de 11 ans son aîné. Madeleine Gebelin enceinte, les deux jeunes sont immédiatement mariés le 12 avril 1858 et accueillent leur premier enfant, Alexandrine, en octobre.

La vie de celle qui est devenue Madeleine Brès se dessine dans un avenir des plus classiques pour une femme. Pourtant, devant de nouvelles difficultés à affronter, Madeleine Brès va devoir sortir de son droit chemin. Son mari multiplie les mésaventures professionnelles. Deux ans après leur mariage, il écope d’un an de prison pour banqueroute et abus de confiance. Madeleine Brès, après plusieurs années à jongler entre les situations de relative fortune et de faillite, cherche à s’assurer un avenir professionnel. En mars 1866, à l’âge de 24 ans, alors que son troisième enfant n’a que quelques mois, elle frappe à la porte de la Faculté de médecine de Paris et demande à s’inscrire comme étudiante. Le doyen Charles-Adolphe Wurtz, loin d’être opposé à l’idée d’accueillir une femme parmi les étudiants, lui conseille de préparer d’abord les baccalauréats nécessaires. Elle obtient les autorisations signées de son mari pour s’inscrire aux études et examens voulus. Elle échoue au baccalauréat une première fois en 1867 mais s’acharne pour acquérir le statut d’étudiante sans même savoir, si en tant que femme, cela lui sera possible. Son professeur de mathématiques, Eugène Barré, franc-maçon, est bien placé dans les milieux intellectuels et politiques, elle sait avoir son soutien et celui du doyen. Elle obtient aussi celui de l’Impératrice Eugénie et du ministre de l’Instruction publique. C’est à un conseil des ministres que l’Impératrice Eugénie impose l’innovation. À l’été 1868, la voici bachelière. À l’automne 1868, elle fait partie des quatre premières étudiantes de l’histoire de l’université en France.

La difficile obtention de son doctorat en médecine

Elle n’a fait que deux années d’études de médecine quand la guerre franco-prussienne éclate. Paul Broca la nomme alors interne provisoire des hôpitaux à l’hôpital de la Pitié. Pourtant, à la fin de la guerre, malgré les démarches de Broca, de Wurtz et autres, l’assistance publique des hôpitaux refuse de la nommer officiellement interne. Elle reprend alors ses études doctorales mais sa situation financière la met à mal. Par l’intermédiaire d’Eugène Barré, elle obtient en 1872, des subsides de la part de la baronne James de Rothschild à qui elle offre la première dédicace de sa thèse. Parallèlement, elle demande de l’aide financière au conseil général du Gard qui lui alloue 1000 francs pour finir son doctorat. Dans le laboratoire de Wurtz, Madeleine Brès étudie la composition chimique du lait maternel. C’est dans ce laboratoire qu’elle fait la connaissance d’un autre étudiant, Louis Magnier de la Source avec lequel elle vit librement quelques années, et aura un quatrième enfant en 1880.

Le 3 juin 1875, Madeleine Brès soutient sa thèse de doctorat intitulée « De la mamelle et de l’allaitement ». Elle devient alors la première femme française docteur en médecine.

Commence alors pour elle la carrière de médecin des femmes et des enfants dans un cabinet qu’elle ouvre. Plus encore, déjà célèbre, elle donne des conférences. Dès 1894 lorsque Eugène Poubelle impose les femmes-médecins dans les administrations, elle dirige le service médical de plusieurs théâtres. Enfin elle ouvre et dirige des crèches. Connue et reconnue, elle est honorée du titre d’officier de l’instruction en 1887. Le 3 juin 1917, faisant fi de toutes les règles de calcul, le cinquantenaire de son doctorat est fêté en grandes pompes par la première dame en personne, Henriette Poincaré.

Une icône du féminisme

Bien que refusant de s’autoproclamer féministe, car « trop exploitée par les femmes » disait-elle, Madeleine Brès prend régulièrement la parole dans les réunions des suffragistes. C’est alors en tant que médecin qu’elle parle « de la mère et son enfant », l’unique patientèle, selon elle, des femmes-médecins. La médecine est, pour beaucoup d’entre elles, une profession féminine car elle est la prolongation du rôle de la mère soignante. « J’estime, en effet, que la femme, quelque situation qu’elle occupe, ne doit jamais perdre les attributs de son sexe. » (Brès 1895)

Pourtant, menant sa vie comme elle l’entendait, affirmant sa liberté tant dans sa vie privée que professionnelle, Madeleine Brès devient un modèle pour chaque féministe militant pour le droit de vivre aussi librement qu’elle.

Madeleine Brès s’éteint chez elle à Montrouge le 30 novembre 1921.

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