Mort de Louisy Mathieu

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Article d’Yves Bruley, maître de conférences HDR à l’École Pratique des Hautes Études, ancien directeur de France Mémoire


Un esclave en politique

Un célèbre portrait peint par Girodet montre le premier homme noir ayant siégé dans une assemblée parlementaire française : c’était en 1792, lorsque Jean-Baptiste Belley fut élu représentant de Saint-Domingue à l’Assemblée législative puis à la Convention nationale. Il faut attendre une autre république, celle de 1848, pour voir à nouveau un homme noir parmi les députés. Fils d’esclaves noirs, Louis ou Louisy Mathieu est né esclave lui-même à Basse-Terre, en Guadeloupe, le 3 février 1817 (ou le 17 juin, date de la rédaction de son acte de naissance). Pour la plupart des auteurs, il a été affranchi en application du célèbre décret d’abolition du 27 avril 1848 pris par Victor Schœlcher. Mais selon Alexandre Dumas, qui a publié en 1849 une intéressante évocation de Louisy Mathieu, celui-ci n’était déjà plus esclave depuis que son père avait racheté sa propre liberté. D’abord simple ouvrier tonnelier (ou, selon une autre source, ouvrier calfat, c’est-à-dire dans les constructions navales), le jeune Louisy reçoit une instruction qui lui permet de devenir ouvrier typographe. Dans l’ébullition politique suscitée par la révolution de février 1848, il est un membre actif du Club de la Concorde fondé à Pointe-à-Pitre, dont la plupart des membres sont francs-maçons – il sera lui-même initié à Paris dans la loge de la Clémente-Amitié. Schœlcher étant lui-même candidat à la Guadeloupe et à la Martinique (ce qui était autorisé alors), ses partisans établissent la liste des candidats de sa tendance. Louisy Mathieu est désigné comme suppléant. L’élection a lieu en août 1848, au suffrage universel masculin. Il est élu par 11632 voix (sur 33734 votants, ce qui était suffisant s’agissant d’un scrutin de liste à la majorité relative et à un tour). Il s’embarque pour la métropole début septembre. Élu député dans les deux îles, Schœlcher choisit de représenter la Martinique « afin de faire arriver à l’Assemblée notre brave ami Louisy Mathieu » comme représentant de la Guadeloupe, écrira-t-il dans une lettre en 1850.

« Le gage de l’union et le drapeau de la fraternité »

La vérification des pouvoirs a lieu le 20 octobre 1848 et le 23 octobre, le nouveau représentant remplace officiellement Victor Schœlcher sur les bancs de l’Assemblée. Au même moment, un autre député noir rejoint lui aussi l’assemblée : Victor Mazulime, élu suppléant en Martinique et appelé à remplacer un titulaire démissionnaire. Né de parents esclaves en 1789 et affranchi de longue date, il vivait à Paris depuis vingt ans ; sa présence impressionna moins que celle de son jeune collègue arrivant des Antilles et affranchi depuis peu. Louisy Mathieu siège à gauche avec « la Montagne », aux côtés des Ledru-Rollin, Barbès, Raspail. Ses interventions sont rares et il ne prononcera qu’un seul discours à la tribune, le 1er décembre 1848, dans le débat sur le budget du ministère de la Marine et des Colonies :

« Citoyens représentants, je n’aurais jamais eu la prétention de monter à la tribune, parce que ma faible capacité me le défendait ; mais aujourd’hui j’y suis obligé, et je parais devant vous comme le gage de l’union et comme le drapeau de la fraternité. Je viens remercier la France de la liberté qu’elle a donnée à mes frères, car c’était le seul poids qui restait à la nation française. Citoyens représentants, oui, je remercie tous les abolitionnistes, car vos noms sont vénérés dans les cœurs de ma race ; la signature que vous avez apposée sur l’acte sacré de l’émancipation vous servira de certificat de conscience là-haut. Devant le tribunal céleste, il n’y a plus de couleurs. […] » (Extrait du Compte rendu des séances de l’Assemblée nationale constituante)

Un député conscient d’être un symbole

            L’Assemblée constituante devant être remplacée au printemps 1849 par l’Assemblée législative, Louisy Mathieu souhaite se présenter. Mais le nombre de députés pour la Guadeloupe étant réduit à deux, Schœlcher lui demande de se retirer en faveur des deux candidats les mieux placés. Il n’exercera plus aucune fonction politique. Il sollicite vainement un poste de commissaire de police en Guadeloupe et n’obtient, en 1863, qu’une place dans l’administration du port de Pointe-à-Pitre. Il meurt à 57 ans et est inhumé dans un cimetière maçonnique de Pointe-à-Pitre. Il faut attendre la fin du siècle et le début du XXe pour voir à nouveau des députés noirs. Les mandats éphémères de Louisy Mathieu et de Victor Mazulime restent donc des exceptions dans presque tout le XIXe siècle. Conscient de cette singularité, le Guadeloupéen écrivait dans sa profession de foi électorale de 1849 :

            « L’aspect de mon visage à l’Assemblée législative sera, je puis le dire, la représentation vivante des colonies ; et je croirais que ce serait déserter notre sainte cause que de reculer devant ma nomination. […] Je suis la sentinelle qui veille, toujours fidèle à son poste, prête à défendre tous les intérêts justes et légitimes, en voulant fermement le bonheur de tous indistinctement. »

 

À lire 

Nelly Schmidt, Victor Schoelcher et l’abolition de l’esclavage, Paris, Fayard, 1994.

Oruno D. Lara, Suffrage universel et colonisation. 1848-1852, Paris, L’Harmattan, 2007.

 

 

 

 

 

Crédits images 

Illustration d’accueil : “La Montagne”. Portrait collectif de 16 Représentants à leurs bancs de l’Assemblée sur 2 rangs. Estampe par Buffet. Louisy Mathieu est au centre. © Gallica BNF 

Illustration de chapô : Proclamation de la République par les représentants du peuple/ sur le Péristyle du Palais de l’Assemblée Nationale. Michel Charles Fichot et Jules Gaildrau, lithographie G.39206 © Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris

Illustration de l’article : Vue de l’intérieur de l’Assemblée nationale Imprimerie Sucket,  Amédée  Monain, Editeur vers 1848 © Paris Musées / Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey

Illustration de bas de page : Assemblée Nationale, Galerie de représentants du peuple (1848) (Guadeloupe) : Louisy Mathieu né à la Basse terre (Guadeloupe) le 17 juin 1817. 1848 ou 1849. Bibliothèque de Bordeaux. © Wikimedia Commons. 

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