Mort de l’historien Ernest Lavisse

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Par Jean Leduc, professeur agrégé d’histoire honoraire, auteur de Ernest Lavisse : l’histoire au coeur


Lavisse naît à Le Nouvion-en-Thiérache (Aisne) en 1842 d’un père commerçant et d’une mère fille d’agriculteurs, et il meurt à Paris en 1922. Il épouse en 1866 une veuve, fille d’agriculteurs, qui décède en 1915. Après une scolarité au Nouvion puis au collège de Laon, il entre au lycée parisien Charlemagne en 1855, est reçu à l’École Normale Supérieure en 1862 puis à l’agrégation d’Histoire et Géographie en 1865. Il exerce dans divers lycées (Nancy, Versailles, Henri-IV à Paris) tout en étant, de 1867 à 1870, « répétiteur » aux Tuileries au bénéfice d’Eugène-Louis, le « Prince impérial », fils de l’Empereur Napoléon III. Il séjourne en Allemagne pour préparer ses thèses qu’il soutient en 1875. Il enseigne à l’École Normale Supérieure de 1876 à 1880 puis en Sorbonne avant de retourner à l’ENS comme directeur de 1905 à sa retraite en 1919.

Le « Petit Lavisse », et autres ouvrages d’histoire

Lavisse est surtout passé à la postérité par ses manuels scolaires d’histoire destinés à l’enseignement primaire, publiés chez Armand Colin. La collection commence en 1876 et se poursuit jusqu’aux années 1950, le texte étant continué, après sa mort, par divers auteurs, en particulier Pierre Conard. Elle comprend quatre séries : Cours préparatoire (le « Petit Lavisse »), Élémentaire, Moyen et Supérieur. Les « Lavisse » dominent le marché entre les deux guerres mondiales. Toujours chez A. Colin, Lavisse publie, sous le pseudonyme de « Pierre Laloi » – seul ou en collaboration – des manuels d’Enseignement Civique et Moral pour les élèves des établissements primaires et secondaires.

Il est l’auteur de nombreux autres ouvrages dont six sur l’histoire de la Prusse et de l’Allemagne impériale, de recueils de ses discours de distribution des prix à l’école de son cher Nouvion-en-Thiérache et d’un volume de Souvenirs.

Il dirige deux collections historiques : chez Colin, très formellement, de 1893 à 1901, une Histoire générale, puis chez Hachette, très activement, de 1903 à 1922, d’une Histoire de France dont il rédige la partie consacrée à Louis XIV.

Ernest Lavisse : une personnalité publique

Candidat à l’Académie française depuis 1890, il y est élu en 1892, battant Brunetière et Zola.

Il est très présent dans la presse. En ce qui concerne la presse périodique il publie surtout dans la Revue des Deux mondes puis, à partir de 1895, dans la Revue de Paris dont il est directeur scientifique. En ce qui concerne les journaux quotidiens il écrit surtout dans Le Figaro et dans Le Temps et son nom est souvent cité dans d’autres. Il publie beaucoup dans les périodiques destinés au personnel de l’enseignement public, y est souvent cité et il figure dans les comités de rédaction de la Revue Internationale de l’Enseignement et de la Revue Universitaire.

Lavisse n’a pas d’appartenance politique précise. S’il demeure fidèle à la famille Bonaparte qu’il a servie à la fin de l’Empire et s’il tente, en vain, de conseiller le Prince impérial, à la mort de ce dernier (1879) il se rallie à la République. Il n’exerce aucun mandat politique et n’adhère à aucun parti. Il est patriote mais il se démarque des nationalistes de l’Action Française – qui ne le ménagent pas – et il ne prend pas de position tranchée lors de l’affaire Dreyfus, se contentant de prêcher sans relâche la « réconciliation nationale ». Son patriotisme atteint un sommet durant la Grande Guerre de 1916-1918 : il est présent sur tous les fronts… de l’arrière, animant divers comités (Secours national, Patronage des blessés, Publication d’Études de documents sur la Guerre, Préparation des règlements territoriaux d’après-guerre) et publiant brochures et articles patriotiques.

Ernest Lavisse dans les institutions

Il joue un rôle dans les transformations institutionnelles de l’enseignement. Il préside le jury de l’agrégation pendant les années 1890 et obtient l’introduction, avant le concours, d’une initiation à la recherche (Diplôme d’études supérieures) et, à l’oral, d’une épreuve de « projet de cours ». Mais il n’obtient pas que les nouveaux agrégés, après leur succès au concours, fassent un stage professionnel avant d’être affectés. Il condamne le baccalauréat et le « bachotage » qu’il engendre et lutte pour sa suppression… sans succès. Directeur de l’École Normale Supérieure il y introduit quelques innovations.

En ce qui concerne l’enseignement de l’histoire, il pense que l’étude de cette discipline doit être un instrument d’instruction morale et civique, qu’il faut donc étudier la période contemporaine et ne pas hésiter à porter des jugements sur les acteurs de cette histoire… positions qui ne lui valent pas que des approbations de la part des enseignants.

Il prête son concours, à des niveaux divers, à une centaine d’organisations. Une vingtaine sont des organismes officiels, conseils ou commissions dans lesquels il est nommé par l’État ou élu par ses collègues universitaires. Les autres sont des sociétés, associations, comités, sociétés savantes, organismes humanitaires et autres visant à développer la concertation entre États et le rayonnement de la France. Il y occupe des fonctions variées.

Outre les séances de distribution des prix de sa ville natale, il honore une foule de cérémonies, mariages, funérailles, fêtes d’étudiants et autres où on lui demande souvent de discourir. On a peine à le croire quand il affirme, en 1903, au Nouvion : « Je n’aime pas siéger sur les estrades ». Son ami l’historien Jules Isaac dira de lui : « Aux abords de la soixantaine il régnait sur tout, présidait à tout ».

À lire :

LEDUC Jean, Ernest Lavisse : l’histoire au cœur, Malakoff, Armand Colin, 2016.

BOURDON Étienne, La forge gauloise de la nation : Ernest Lavisse et la fabrique des ancêtres, Lyon, ENS Éditions, coll. « Sociétés, espaces, temps », 2017.

NORA Pierre, « Ernest Lavisse : son rôle dans la formation du sentiment national », Revue historique, t. 228,‎ fasc. 1, 1962, p. 73-106.

Crédits photos : 

Illustration de la page d’accueil : Vercingétorix se rendant à César de Henri-Paul Motte, huile sur toile, 1886 © WikiCommons

Illustration du chapô : Ernest Lavisse, Histoire de France. Cours moyen, 1re et 2e années. Nouvelle édition, Armand Colin, 1947 © Gallica / BnF

Illustration de la notice générale : Melchior Feselen, Le siège d’Alésia, huile sur bois d’épicéa, 1533 © WikiCommons

 

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