Mort de François de Sales

RETOUR AU DOSSIER

Par Hélène Michon, maître de conférences en littérature française à l’université de Tours


François de Sales n’a pas créé d’école de spiritualité comme Bérulle ou Jansénius et pourrait dès lors apparaître plus isolé dans son temps ; il en est, en réalité, une figure incontournable, incarnant les tensions de son époque et se situant à la croisée de la République des lettres et du renouveau spirituel.

François de Sales : un homme entre deux mondes

Humaniste, il se présente comme le pendant religieux d’un Montaigne ; moraliste, il fait de l’inclination de l’homme vers le bien le maître mot de sa philosophie, perçue souvent comme une alternative à Port-Royal ; auteur spirituel enfin, il s’impose comme le champion de la vie chrétienne et dévote vécue au sein du monde.

Quant à son contexte culturel, il est l’homme de deux siècles, de deux pays et de deux cultures. Contemporain d’Agrippa d’Aubigné, il appartient autant au monde de la Renaissance d’Henri III qu’au règne de Louis XIII. De deux pays : savoyard au temps où la Savoie est un duché indépendant, il hérite des cultures française et italienne, ayant étudié d’abord à Paris, puis en Italie. Enfin, c’est un homme à la double formation scolastique et humaniste. Il contribue, en outre, à l’émergence de la langue classique. On peut mesurer l’écart entre la langue rocailleuse, proche de celle de Montaigne, qu’on trouve dans l’Introduction à la vie dévote (1608), et la langue déjà quasi racinienne du Traité de l’Amour de Dieu (1616).  Enfin, dans un contexte de prise de parole polémique toujours en conflit, François de Sales promeut une rhétorique de l’apologétique et de l’homilétique empreinte de cette célèbre douceur. C’est pour avoir innové en diffusant ses prêches sur des feuilles volantes à l’adresse des réformés, qu’il a reçu le titre de patron des journalistes. Voici pour l’homme de lettres.

De l’honnêteté du mariage

Un autre intérêt de la figure salésienne est son apport anthropologique : l’homme, à ses yeux, est enclin au bien et cette attirance est structurelle. Elle colore la relation de l’homme à Dieu mais également les rapports des hommes entre eux, et singulièrement le rapport entre l’homme et la femme. François de Sales est, à bien des égards, le saint du mariage chrétien. L’on sait qu’un chapitre de l’Introduction à la Vie dévote portant sur « l’honnêteté le lit nuptial » a marqué les esprits, prônant une vision positive du corps et de la sexualité. Sans naïveté à l’égard de cet état de vie, il n’hésite pas à en souligner clairement les difficultés: « L’estat de mariage est un estat qui requiert plus de vertu et constance que nul autre. » Mais il affirme que ce chemin peut conduire au Ciel s’il est vécu conformément au projet divin : union indissoluble, fidélité inviolable, procréation et nourriture légitime des enfants. Par son analyse de l’amour « inclination, passion et sentiment », il anticipe les aspirations des précieuses, en quête d’un amour pur. Il récuse l’opposition entre le cœur et la raison, lesquels s’unissent chez lui dans l’affection. Enfin, il annonce la re-définition du mariage développée par Vatican II, considérant simultanément fin unitive et fin procréative du mariage. Sa vision anthropologique est à la fois unifiée : pas de scission entre le corps, le cœur et la raison, et harmonieusement organisée.

Le souriant visage de l’ascétique chrétienne

Enfin, il s’agit, bien sûr, d’un maître en spiritualité. Il est l’un des rares auteurs chrétiens à ne pas faire du combat contre le péché le point de départ de la vie spirituelle ; celle-ci commence tout au contraire par la considération de la ressemblance entre l’homme et Dieu, laquelle donne lieu à une convenance de l’un envers l’autre. Dieu, loin d’être le justicier de l’Ancien Testament, est décrit comme un jardinier qui cultive ses roses avec amour ou encore comme un maître laissant un collier – une trace – à son chien pour être sûr de le retrouver car Dieu désire l’homme comme celui-ci désire Dieu : de fait, Celui-ci est désigné comme Dieu du cœur humain.

Le chemin qui conduit à lui est ouvert à tous et n’est pas le seul fait des cloîtrés ; ainsi, François de Sales développe une conception de la dévotion civile qui se définit comme une dévotion – attitude spirituelle de tension vers Dieu et d’attention aux autres – qui ne heurte ni ne choque car elle passe inaperçue aux yeux du monde. Ce chemin de dépassement de soi est adouci par la vertu de dévotion, vrai sucre spirituel d’une suavité merveilleuse. François de Sales remet ainsi à l’honneur la petite vertu très significative d’eutrapélie, faite de bonne humeur, de

 sourire devant la vie, doublé d’un certain sens de l’humour ; celle-ci symbolise mieux que tout autre ce visage souriant de l’ascétique chrétienne, qui reste durablement uni à son nom.

Ainsi, que ce soit pour des motifs culturels, anthropologiques ou spirituels, la fréquentation de François de Sales ouvre l’esprit, empêchant de poser une étiquette sur une époque et présentant les mille facettes de la complexité humaine.

À lire :

Hélène Michon, François de Sales. Une nouvelle mystique, Paris, Cerf, 2008

Hélène Michon, François de Sales, Paris, Presses de la Renaissance, coll. “Les grandes figures de la spiritualité chrétienne”, 2017

Amaury Montjean, Le mariage dans la pensée de saint François de Sales, Paris, Cerf, 2021

François Renaud (textes sélectionnés et commentés par), François de Sales. Aux prêtres, Paris, Cerf, 2021

François de Sales : évêque et homme spirituel, actes du colloque tenu à Lyon en novembre 2021, à paraître au Cerf, en novembre 2022

Crédits photos : 

Illustration de la page d’accueil : Saint François de Sales donnant à sainte Jeanne de Chantal la règle de l’ordre de la Visitation, Noël Hallé, XVIIIe siècle © WikiCommons 

Illustration du chapô : Titre-frontispice pour : François de Sales, Introduction à la vie dévote, Paris, Imprimerie royale, 1641, Claude Mellan (attribution incertaine) © Musée d’art et d’histoire, Ville de Genève, photographe : Cabinet d’arts graphiques

Illustration de la notice générale : Portrait du bienheureux François de Sales, évêque de Genève, Baltazar Moncornet, entre 1662 et 1665 ©  Bibliothèque de Genève

Print Friendly, PDF & Email
Retour en haut