Mort de Daniel-François-Esprit Auber

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Par Jean-Claude Yon, directeur d’études à l’EPHE, spécialiste de l’histoire des spectacles


Né sous Louis XVI, mort sous la Commune, Auber est une figure de tout premier plan de la vie musicale et théâtrale du XIXe siècle – ce que l’oubli dans lequel il est tombé au siècle suivant ne doit pas masquer.

Initiation à la musique et premiers succès

Issu d’une famille parisienne de la moyenne bourgeoisie, il grandit dans un milieu cultivé. Son père, officier des chasses royales et peintre, doit se reconvertir dans le commerce d’estampes sous la Révolution. C’est lui qui initie son fils à la musique avant de le confier au baryton Martin et à Ladurner, professeur de piano au Conservatoire. Le jeune Auber apprend le chant, le piano, le violon et le violoncelle. Il n’en effectue pas moins, afin de reprendre le commerce paternel, un séjour de seize mois à Londres en 1802-1803. Ce sera le seul grand voyage de ce Parisien, très attaché à sa ville et qui vécut toute sa vie rue Saint-Georges. En 1806, Auber est remarqué par Cherubini qui lui donne des cours particuliers pendant trois ans et qui l’introduit chez le prince de Caraman Chimay. Celui-ci en fait son maître de musique, tant dans son hôtel parisien que dans son château en Belgique. C’est là qu’Auber donne en 1812 son premier opéra-comique, Jean de Couvin, avant de débuter l’année suivante à l’Opéra-Comique avec Le Séjour militaire. La mort de son père en 1820 – qui a pour conséquence la ruine de la famille – le décide à choisir (à 37 ans !) la carrière de compositeur professionnel. La rencontre avec Eugène Scribe est décisive. La première œuvre signée de leurs deux noms est en 1823 Leicester ou le Château de Kenilworth. L’œuvre est jouée 145 fois jusqu’en 1831 et connaît un succès international, de l’Allemagne à l’Angleterre en passant par la Scandinavie. Exceptionnelle à bien des égards, la collaboration d’Auber et Scribe va durer jusqu’en 1864 (année de la création de La Fiancée du roi de Garbe, trois ans après la mort du librettiste) ; elle se concrétise par pas moins de 39 œuvres, à savoir 29 opéras-comiques, 8 opéras et 2 ballets. À leur propos, Heinrich Heine écrivait en 1844 : « Ils savent nous amuser agréablement et parfois même nous enchanter ou nous éblouir par les lumineuses facettes de leur esprit ».

Une œuvre prolifique 

1823 est également l’année où Auber débute à l’Opéra avec Vendôme en Espagne, une pièce de circonstance composée avec Hérold et montée pour célébrer le duc d’Angoulême après la guerre d’Espagne. Le musicien fait à cette époque la connaissance de Rossini dont les œuvres enthousiasment les dilettantes du Théâtre-Italien et dont il subit l’influence. 1825 est l’année du grand succès du Maçon, joué 525 fois jusqu’en 1875. Trois ans plus tard, Auber et Scribe jettent les bases du grand opéra avec La Muette de Portici, joué plus de 500 fois jusqu’en 1882. Leur domination sur l’opéra-comique est symbolisée, au début de 1830, par le triomphe de Fra Diavolo – un triomphe durable puisque l’ouvrage reste au répertoire jusqu’en 1906 avec 909 représentations. Dès le début de la monarchie de Juillet, Auber apparaît donc comme le chef de l’école française d’opéra. Il est vrai qu’il n’a pas vraiment d’autres grands succès à l’Opéra, malgré des tentatives ambitieuses comme Gustave III ou le Bal masqué en 1833 (avec son célèbre galop du 5e acte) ou l’opéra biblique L’Enfant prodigue en 1850. Sa carrière est bien plus heureuse à l’Opéra-Comique avec notamment : Le Cheval de bronze (1835), Le Domino noir (1837, 1209 représentations jusqu’en 1909), Haydée ou le secret (1847), Manon Lescaut (1856, mal accueilli). Il fait jouer son dernier ouvrage, Le Premier jour de bonheur, en 1868, à l’âge de 86 ans.

Parallèlement à la composition, Auber a accompli une très belle carrière officielle : successeur de Gossec à l’Académie des Beaux-Arts en 1829, il devint directeur des Concerts de la cour en 1839, directeur du Conservatoire en 1842, directeur de la Chapelle et de la Chambre impériales en 1853. Ces honneurs ont contribué à donner de lui l’image, à vrai dire fort réductrice, d’un musicien académique. Bien plus pertinent est ce jugement porté par Richard Wagner en 1842 : « Sa musique, tout à la fois élégante et populaire, facile et précise, gracieuse et hardie, se laissant aller avec un sans-façon merveilleux à son caprice, avait toutes les qualités nécessaires pour s’emparer du goût du public et le dominer. [Auber] s’empara de la chanson avec une vivacité spirituelle, en multiplia les rythmes à l’infini, et sut donner aux morceaux d’ensemble un entrain, une fraîcheur caractéristiques à peu près inconnus avant lui. »

 

À écouter :

Fra Diavolo, avec Nicolai Gedda, livret d’E. Scribe, musique de D.-F.-E. Auber, EMI Classics

La Muette de Portici, avec Alfredo Kraus, livret d’E. Scribe et G. Delavigne, musique de D.-F.-E. Auber, EMI Classics

Le Domino noir, avec Sumi Jo, livret d’E. Scribe, musique de D.-F.-E. Auber, Decca 

Manon Lescaut, avec Mady Mesplé, livret d’E. Scribe, musique de D.-F.-E. Auber, EMI Classics

 

À voir :

Marco Spada, de Joseph Mazillier et Pierre Lacotte au Bolchoï, musique de D.-F.-E. Auber, Belle Air classiques

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