Jacques-Joseph Champollion : “Moi c’est toi”

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Entretien écrit avec Karine Madrigal, égyptologue, chargée de l’étude du fonds Champollion conservé aux Archives départementales de l’Isère, chercheuse-associée au laboratoire HiSoMA


Jacques-Joseph Champollion par Mme de Rumilly © Wikicommons / Musée Champollion de Vif

– Qui était Jacques-Joseph Champollion ?

Jacques-Joseph (1778-1867) est le premier né de Jacques Champollion et de Jeanne-Françoise Gualieu. Lorsque son jeune frère, Jean-François, nait en 1790, il devient son parrain.

Autodidacte, son cursus scolaire est assez lacunaire à cause des troubles révolutionnaires. Il se passionne, probablement très jeune, pour les livres et l’histoire. Il étanche certainement sa soif livresque dans la librairie que son père tient dans leur ville natale, Figeac.

Jacques qui destine son fils au commerce, l’envoie en 1798, à Grenoble, chez des cousins pour qu’il entre en apprentissage dans le commerce familial Champollion, Chatel et Rif. N’ayant aucune envie de faire carrière dans le commerce, Jacques-Joseph poursuit ses recherches et se fait rapidement remarquer par le milieu intellectuel et politique grenoblois. Il se rapproche notamment de Joseph Fourier, ancien membre de la Commission des sciences et des arts de Bonaparte, devenu préfet de l’Isère en 1802.

Dès les jeunes années de Jacques-Joseph, l’Égypte est présente. Grâce à un ouvrage intitulé Les vingt premières années de ma vie, nous apprenons qu’il souhaitait, comme son cousin André Champollion, faire partie de l’expédition en Égypte de Bonaparte. Malheureusement ce rêve ne fut pas exaucé. Comme de nombreux Français, il apprend par les journaux, la découverte en 1799, d’un objet d’exception qui pourrait être la clé pour le déchiffrement des hiéroglyphes. 

– Quelle a été sa part dans la formation de Jean-François ?

Ayant douze ans d’écart avec son plus jeune frère, Jacques-Joseph le prend rapidement sous son aile et lui donne ses premières leçons. Elles sont interrompues lorsque l’aîné part à Grenoble en 1798. À partir de ce moment-là, c’est l’abbé Calmels qui devient le précepteur du jeune Jean-François. La correspondance entretenue entre le professeur et l’aîné des Champollion montre que Jean-François est un élève avec des grandes capacités mais que son esprit est volage et qu’il est difficile de le faire travailler.

Jacques-Joseph décide de faire venir auprès de lui Jean-François. Arrivé à Grenoble en mars 1801, le cadet s’installe chez son grand frère. Jusqu’à son entrée en 1804 au lycée impérial, l’éducation du cadet est assurée par Jacques-Joseph. Il lui fait lire les auteurs classiques, apprendre des poésies. C’est aussi lui qui fournit à son jeune frère les ouvrages qui alimentent sa passion naissante et croissante envers les langues orientales.

– Comment décririez-vous la relation dont témoigne la correspondance entre les deux frères ?

Les échanges entre les deux frères, conservés dans le fonds Champollion des Archives départementales de l’Isère, correspond à environ 700 lettres. L’étude de cette correspondance, que je mène depuis 2010, nous donne un bon aperçu de leur relation que l’on pourrait qualifier de quasi-fusionnelle. Jacques-Joseph est une figure paternelle pour Jean-François. Cela se voit dans les courriers, lorsque l’aîné gendarme le cadet, le remet dans le droit chemin. Il est aussi son financeur et les questions d’argent sont récurrentes dans les lettres, l’aîné trouvant que le cadet dépense trop et à l’inverse ce dernier estimant qu’il n’a pas assez d’argent !

Mais surtout ce qui apparait dans les lettres, c’est une reconnaissance et un amour sans limite du cadet envers son ainé. « Mon cher frère », « je te dois tout », « il y a longtemps que tu me prouves que moi c’est toi. Je serais trop heureux de prouver l’inverse. Mon cœur m’assure que nous ne ferons jamais deux personnes. Maudit soit le jour qui amènerait cette distinction ! »

– Comment Jacques-Joseph a-t-il accompagné son frère dans sa recherche sur les hiéroglyphes ?

L’étude du fonds Champollion de l’Isère, nous permet d’avoir une idée précise du rôle tenu par Jacques-Joseph dans l’aventure du déchiffrement. Comme mentionné précédemment, il va jouer un rôle de mentor pour son jeune frère. Jean-François est un génie à l’état brut. Il a donc besoin de quelqu’un pour le canaliser, l’orienter, le superviser.

La correspondance entre les deux frères montre que c’est Jacques-Joseph qui incite son frère à travailler sur les textes de la pierre de Rosette. La méthode, qui aboutira au déchiffrement des hiéroglyphes en septembre 1822, est mise en place en duo, le jeune frère faisant part de ses recherches et réflexions à son aîné et à l’inverse ce dernier travaillant avec le cadet sur la meilleure méthode à appliquer pour comprendre l’écriture des anciens Égyptiens.

Le fonds Champollion, qui conserve les échanges entre les deux frères, comprend également des centaines de lettres de savants, intellectuels, politiques, qui ont écrit à Jacques-Joseph au cours du XIXe siècle. Ces lettres, issues de près de 1500 correspondants, sont le reflet d’une communauté scientifique et politique qui soutenait les travaux de Jean-François Champollion. Grâce au réseau de Jacques-Joseph, son frère a pu avoir accès à des documents hiéroglyphiques, des copies de la pierre de Rosette, des ouvrages etc. qui lui sont indispensables dans ses recherches. Parmi ces correspondants, nous pouvons citer François Artaud, directeur du musée des Beaux-Arts de Lyon, fervent soutien des frères Champollion, qui fournit au cadet de nombreuses copies de textes hiéroglyphiques provenant d’objets égyptiens sous sa garde.

À lire :

FAURE, Alain, Champollion, le savant déchiffré, Éditions Fayard, mai 2020.

MADRIGAL, Karine, Jean-François et Jacques-Joseph Champollion, L’aventure du déchiffrement des hiéroglyphes, Correspondance, Éditions Belles-Lettres, septembre 2021.

MADRIGAL, Karine, François Artaud et les frères Champollion, Correspondance 1808-1837, Éditions Decoopman, juin 2022.

Crédits photos :

Illustration de l’article : Télémaque accompagné de Minerve sous la figure de Mentor arrive dans l’île de Calypso, gravure extraite des Aventures de Télémaque, de Fénelon © Gallica / BnF

 

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