Les poètes humanistes de La Pléiade

RETOUR AU DOSSIER

Par Jean-Charles Monferran, professeur de littérature française du XVIe siècle à Sorbonne Université


Pour parler du cercle des poètes proches de Ronsard et de Du Bellay, l’histoire littéraire a préféré au terme militaire, initialement choisi par Ronsard, de « Brigade », celui qu’il a employé par la suite de « Pléiade ». Désignant à l’origine les sept filles d’Atlas qui, métamorphosées en étoiles, constituèrent une constellation, le mot a servi à définir dans l’Antiquité un groupe de sept éminents poètes alexandrins. C’est en vertu de ce précédent antique que Ronsard applique cette étiquette à ses compagnons du moment. La liste de ceux-ci évolue au gré du temps, mais cinq noms reviennent toujours : ce sont, outre celui de Ronsard, ceux de Du Bellay, de Baïf, de Pontus de Tyard et de Jodelle. Ces poètes se connaissent bien, partagent un même idéal poétique, se sont rencontrés pour la plupart à Paris : les trois premiers y ont suivi l’enseignement de Jean Dorat au collège de Coqueret. Ils ne constituent toutefois pas une « école » au sens strict et il serait excessif, comme on l’a dit souvent, de faire de la Défense et illustration de la langue française du seul Du Bellay, le « manifeste » du groupe.

« Style à part, sens à part, œuvre à part »

Ces poètes qui commencent à écrire au début du règne d’Henri II (1547-1559) ont en commun une ambition nouvelle. Héritiers du néo-platonisme florentin du XVe siècle, ils redéfinissent à la hausse le rôle du poète et de la poésie : rêvant de gloire et d’immortalité, le poète devient un mage pouvant accéder aux secrets des cieux. La devise que Du Bellay emprunte à Horace le dit assez : Caelo musa beat, « la Muse mène au Ciel ». Cette ambition va de pair avec une extension des domaines de la poésie qui s’ouvre à des sujets nouveaux en langue française, le poème héroïque (La Franciade de Ronsard) ou le poème encyclopédique ou scientifique (Les Hymnes de Ronsard ou L’Amour des Amours de Jacques Peletier du Mans). Mais même quand elle reprend des sujets que la tradition française a largement exploités, cette poésie ne ressemble guère à celle qui la précède.

C’est qu’elle puise de façon systématique son inspiration dans l’Antiquité, se donne comme mot d’ordre d’imiter les plus grands auteurs grecs et latins. Cette théorie de l’imitation transforme la poésie en poésie humaniste, laquelle s’exprime par ailleurs, la plupart du temps (mais pas toujours), en langue vulgaire. Elle permet de rompre avec le programme des poètes de la génération précédente qui, s’ils ont pu traduire les Anciens ou les prendre comme modèles, n’ont jamais cherché exactement à les récrire. L’avant-garde poétique que constitue la Pléiade cherche ainsi à faire table rase du passé immédiat : il s’agit, comme le proclame Ronsard dans sa préface des Odes, de faire « style à part, sens à part, œuvre à part ».

Le modèle de la poésie gréco-latine

Fidèles à leur logique, ces poètes vont donner congé aux formes poétiques pratiquées au Moyen Age et pendant les premières décennies du XVIe siècle (rondeau, ballade, chant royal) pour prôner des formes alors nouvelles en français et qui renvoient d’emblée soit à l’Antiquité, soit à l’Italie qui en est l’héritière. Ils lancent la vogue, vouée à une longue histoire, du sonnet, genre de la poésie italienne dont le modèle premier est Pétrarque. Ils introduisent également en français le genre de l’ode à partir des deux grands modèles lyriques antiques que sont Pindare et Horace. Ils cherchent aussi à renouveler le langage de la poésie qui doit se distinguer de la langue usuelle, jugée trop modeste, en se nourrissant de celle des plus grands poètes gréco-latins. Cette création d’un français « illustre » passe par l’instauration d’une langue artificielle calquant les mots et les tournures grecques et latines. Présenté dans la Défense en 1549 et mis en œuvre dans les premiers recueils de sonnets ou de vers lyriques de Du Bellay et de Ronsard, ce programme ambitieux se heurtera au goût de la Cour et connaîtra aménagements et variations selon le tempérament des poètes, le sujet de leurs œuvres et le moment de leur parution.

Le succès, en leur temps, de ces poètes et notamment de Ronsard, devenu modèle de plusieurs générations de poètes, plus que Du Bellay mort prématurément, s’estompe dès le tournant du siècle. Jugée sévèrement, notamment par Malherbe, comme une atteinte à la simplicité française et une perversion du bon goût, la poésie de la Pléiade connaît une période de purgatoire pendant deux siècles. Il faut attendre le début du XIXe siècle pour voir cette éclipse prendre fin. Hugo, Nerval, Sainte-Beuve et d’autres romantiques redécouvrent alors la beauté étrange, si peu classique, de la Pléiade et les charmes, lyriques ou satiriques, de Du Bellay.

 

À lire :

Henri Chamard, Histoire de la Pléiade, Paris, Didier, 1939

Emmanuel Buron, Dictionnaire des lettres françaises, Le XVIe siècle, dir. M. Simonin, Paris, Fayard, 2001, entrée « Pléiade »

Vocabulaire et création poétique dans les jeunes années de la Pléiade (1547-1555), dir. M.-D. Legrand et K. Cameron, Paris, Champion, 2013

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Botticelli,  Le Printemps, 1478-1482, Galerie des Offices, Florence. ©WikiCommons

Print Friendly, PDF & Email
Retour en haut