Le tour du monde de Loti, 4e escale : Élisabeth de Roumanie

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Le choix d’Étienne Dingeon, membre du conseil d’administration de l’AIAPL


Pierre Loti a rencontré plusieurs fois la reine Élisabeth de Roumanie, également auteur sous le pseudonyme de Carmen Sylva, dans ses châteaux de Sinaïa et de Bucarest. Les deux extraits ci-dessous témoignent de l’affection qu’il lui portait et de son intérêt pour la vie quotidienne et sociale de la cour d’Élisabeth.

Entre tant de souvenirs que j’ai gardés de ce château de Sinaïa, parmi les plus charmants, je retrouve les courses du matin dans les sentiers de la forêt. Ces moments-là étaient encore de ceux où il m’était permis de causer un peu longuement avec Sa Majesté. À Sinaïa, qui est une résidence en pays sauvage, très haut dans les Karpathes, la vie de cour était plus simple qu’au grand palais pompeux de Bucarest ; elle prenait même, pendant ces promenades, des allures presque familiales, tant les souverains y mettaient de bonne grâce.

Pierre Loti, Carmen Sylva, 1887

Alors toutes les dangereuses petites poupées pailletées d’or se formèrent en une longue chaîne charmante, pour commencer, par fantaisie d’élégantes modernes, une vieille danse populaire de ce pays appelée : « la hora »[1]. Elles prièrent la reine de danser aussi, et la reine, pour leur faire plaisir, le voulut bien, avec son inaltérable bonne grâce et toujours sa souriante tristesse. Au milieu de la chaîne arrondie en cercle, elle vint se placer, plus grande que toutes « ses filles » et entièrement blanche, avec son drap d’argent et son voile de mousseline, parmi leurs pailletages et leurs broderies multicolores. Elle semblait une sérieuse et douce figure, échappée d’une fresque byzantine, ayant mis pour la première fois, sous son voile blanc, un bandeau à l’antique très bas sur le front : « N’est-ce pas, avait-elle demandé le matin à ses demoiselles d’honneur, à mon âge, je ne peux plus m’habiller en Roumanie sous le bandeau des vieilles ? » Et on ne l’en avait pas dépersuadée, tant ce bandeau lui allait bien… Avec un art et un charme qu’aucune de « ses filles » ne savait attendre, elle dansa la danse lente et grave, qui semblait une sorte de pas rituel.

Après, elles lui demandèrent de chanter. Et elle chanta, avec sa résignation à leur plaire, elle chanta un vieux lied d’Allemagne, qu’elle me pria de lui accompagner à l’orgue. 

Pierre Loti, L’exilée, 1890

[1]Danse traditionnelle roumaine : ronde paysanne à l’origine, accompagnée à l’accordéon, au violon, à la flûte.

Un grand merci à Marie-Ange Gerbal et aux membres de l’Association Internationale des Amis de Pierre Loti pour ce voyage en 10 escales, qui aurait pu nous mener encore bien plus loin !

Pour en savoir plus sur l’association, c’est ici.

Crédits photos :

Illustration de la page : Couronnement des souverains roumains, la reine Marie de Serbie et Élizabeth de Grèce (à gauche), à la cathédrale Saint-Michel d’Alba Iulia, le 15 octobre 1922. Photographie de l’agence Rol © Gallica/BnF

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