Le tour du monde de Loti, 6e escale : mondes arabes

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Le choix de Gilles Luneau, adhérent de l’AIAPL


En 1889, en mission diplomatique, Pierre Loti traverse le Maghreb, d’Oran à Fez. Il en rapporte un carnet de voyage qui traduit la fascination de son regard sur les paysages et les populations des régions traversées. Dans l’extrait suivant, la caravane diplomatique traverse l’oued M’Cazen.

Avec résignation, les beaux cavaliers arabes se déshabillent, puis déshabillent aussi leurs chevaux et remontent dessus, les tenant enfourchés entre leurs jambes nerveuses comme dans des étaux de bronze. Sur leur propre tête ils placent en paquet monumental leurs cafetans de drap et leurs burnous ; par-dessus encore, leur énorme selle fauteuil, leurs harnais de parade, et ils relèvent leurs bras, en anse d’amphore grecque, pour soutenir le tout.

On voit alors s’avancer résolument vers la rivière tous ces échafaudages multicolores, incompréhensibles au premier aspect, ayant chacun pour base cette chose instable : un maigre cheval, cabré et rétif, le long duquel pendent deux jambes nues.

Et tous ces hommes, ainsi chargés, incapables à présent de s’aider de leurs mains, lancent leurs chevaux sur la berge à pic et luisante, rien qu’en leur pressant le flanc, en les éperonnant du talon. Les chevaux hennissent de peur ; glissent, comme qui patine, comme qui descend en char russe, les uns encore debout sur leurs pieds, les autres assis sur leur derrière, et, tout couverts de boue gluante, tombent dans l’Oued au milieu d’un grand éclaboussement d’eau ; puis nagent en plein courant, et, sur l’autre rive, grimpent comme des chèvres.

Pierre Loti, Au Maroc, 1889

La mort de Philae regroupe une vingtaine d’article rédigés par Pierre Loti pour le Figaro lors d’un voyage de quatorze semaines en Haute-Égypte, en 1907. Ce reportage constitue également une sévère critique de la colonisation britannique.

Parmi ces jeunes musulmans ou coptes, sortis des écoles, il est tant d’esprits distingués cependant et d’intelligences supérieures ! Tandis que je vois encore les choses d’ici avec mes yeux tout neufs d’étranger débarqué hier sur ce sol imprégné d’ancienne gloire, je voudrais pouvoir leur crier, avec une franchise brutale peut-être, mais avec une si profonde sympathie :

« Réagissez, avant qu’il soit trop tard. Contre l’invasion dissolvante, défendez-vous, – non par la violence, bien entendu, non par l’inhospitalité ni la mauvaise humeur, – mais en dédaignant cette camelote occidentale dont on vous inonde quand elle est démodée chez nous. Essayez de préserver non seulement vos traditions et votre admirable langue arabe, mais aussi tout ce qui fut la grâce et le mystère de votre ville, le luxe affiné de vos demeures. Il ne s’agit pas là que de fantaisies d’artistes, il y va de votre dignité nationale. Vous étiez des Orientaux (je prononce avec respect ce mot qui implique un passé de précoce civilisation, de pure grandeur), mais, encore quelques années, si vous n’y prenez garde, et on aura fait de vous de simples courtiers levantins, uniquement occupés de la plus-value des terres et de la hausse des cotons. »

Pierre Loti, La mort de Philaé, 1909

Un grand merci à Marie-Ange Gerbal et aux membres de l’Association Internationale des Amis de Pierre Loti pour ce voyage en 10 escales, qui aurait pu nous mener encore bien plus loin !

Pour en savoir plus sur l’association, c’est ici.

À Lire :

Gilles Luneau, Une passion du monde, Voyage dans les pas de Pierre Loti, Monaco, Éditions du Rocher, 2023

Crédits photos :

Illustration de l’article : Paul Leroy, Portrait d’un jeune guide arabe, Le Caire, 1884 © WikiCommons/Musée des beaux-arts de Brest

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