Le tour du monde de Loti, 5e escale : les pagodes d’or

RETOUR AU DOSSIER

Le choix de Pierre Rouveirolles, membre du conseil d’administration de l’AIAPL


Pierre Loti a tout juste 50 ans, ce 12 Février 1900, lorsqu’il se rend à Rangoon pour la première et seule fois de sa vie. Il est guidé par l’immense Pagode d’Or que l’on aperçoit de loin à l’approche du delta de l’Irrawady. Il vient des Indes, en traversant le Golfe du Bengale (où 35 ans plus tôt, son frère Gustave, malade et décédé à bord d’un navire le ramenant en France, a été immergé) et y retournera 24 heures plus tard après avoir vécu une expérience spirituelle singulière en communion avec « cette pauvre gracieuse Birmanie », alors sous le joug anglais.

En mer, l’extrême matin, dans les brumes de l’Irrawady, devant les bouches du grand fleuve, au milieu du tourbillon des goélands et des mouettes.

Partis depuis trois jours de Calcutta, nous devons être à toucher la terre de Birmanie, dont rien pourtant ne se devine encore.

L’eau si bleue la veille, quand nous traversions le Golfe du Bengale, est devenue blonde et n’a plus de contours, sous cette brune couleur de perle qui tout de suite se confond avec elle. Le lever du jour n’éclaire pour nous qu’un monde inconsistant, qui n’a pas de limites apparentes, mais qui cependant, n’est pas le vide ; un monde de vapeurs chaudes, saturées de germes. Innombrables, s’agitent les goélands et les mouettes. Des cris, des battements de plumes. Blanches ou teintées de gris, des milliers, des milliers d’ailes nerveuses, rapides, cinglantes, qui fouettent l’air épais avec des bruits d’éventail. La vie intense des oiseaux pêcheurs nous enveloppe, dans cette buée, pour nous à peine respirable, que le grand fleuve exhale toujours sur la fin des nuits.

Midi. Comme au théâtre un rideau se lève, la brume en une minute se détache des choses terrestres ; elle monte et se dissout dans le ciel, c’est fini. Un soleil torride, soudainement dévoilé, fait luire autour de nous des eaux jaunâtres. De tous côtés apparaissent des côtes basses, à demi noyées, dirait-on et que recouvre un tapis d’humides verdures. Et, dans le lointain de ce pays plat, au fond de ces plaines trop vertes où rien d’humain ne se dessine, quelque chose d’unique arrête, déroute les yeux ; on dirait une grande cloche d’or, surmontée d’un manche d’or… C’est bien de l’or, à n’en point douter : cela brille d’un éclat si fin ! Mais c’est tellement loin qu’il faut que ce soit gigantesque ; cela excède toutes les proportions connues ; avec cette forme étrange, qu’est-ce que cela peut-être ?

C’est la pagode pour laquelle j’ai entrepris ce long pèlerinage, la plus sainte des pagodes de Birmanie, qui contient des reliques des cinq Bouddhas, et trois cheveux de Gautama, le dernier venu des cinq.

Elle est millénaire ; depuis les vieux temps, les fidèles y accourent de tous les points de l’Asie… 

Pierre Loti, Les pagodes d’or, extrait du chapitre I

Un grand merci à Marie-Ange Gerbal et aux membres de l’Association Internationale des Amis de Pierre Loti pour ce voyage en 10 escales, qui aurait pu nous mener encore bien plus loin !

Pour en savoir plus sur l’association, c’est ici.

Crédits photos :

Illustration de la page : La pagode Shwedagon de Rangoun, lithographie britannique de 1825 © WikiCommons

Print Friendly, PDF & Email
Retour en haut