L’ambassade polonaise vue par Dumas

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Extrait de La reine Margot, d'Alexandre Dumas


Selon toute vraisemblance, l’épisode que Dumas situe au Louvre correspond historiquement à la cérémonie du 10 septembre 1573 à Notre-Dame de Paris, au cours de laquelle Charles IX entérina symboliquement l’élection de son frère par les Polonais. La fiction y donne à Catherine de Médicis un rôle de premier plan.

Le lendemain toute la population de Paris s’était portée vers le faubourg Saint-Antoine, par lequel il avait été décidé que les ambassadeurs polonais feraient leur entrée. Une haie de Suisses contenait la foule, et des détachements de cavaliers protégeaient la circulation des seigneurs et des
dames de la cour qui se portaient au-devant du cortège.

Bientôt parut, à la hauteur de l’abbaye Saint-Antoine, une troupe de cavaliers vêtus de rouge et de jaune, avec des bonnets et des manteaux fourrés, et tenant à la main des sabres larges et recourbés comme les cimeterres des Turcs.

Les officiers marchaient sur le flanc des lignes.

Derrière cette première troupe en venait une seconde équipée avec un luxe tout à fait oriental. Elle précédait les ambassadeurs, qui, au nombre de quatre, représentaient magnifiquement le plus mythologique des royaumes chevaleresques du XVIe siècle.

L’un de ces ambassadeurs était l’évêque de Cracovie. Il portait un costume demi-pontifical, demi-guerrier, mais éblouissant d’or et de pierreries. Son cheval blanc à longs crins flottants et au pas relevé semblait souffler le feu par ses naseaux ; personne n’aurait pensé que depuis un mois
le noble animal faisait quinze lieues chaque jour par des chemins que le mauvais temps avait rendu impraticables.

Près de l’évêque, marchait le palatin Lasco, puissant seigneur si rapproché de la couronne qu’il en avait la richesse d’un roi comme il en avait l’orgueil.

Après les deux ambassadeurs principaux, qu’accompagnaient deux autres palatins de haute naissance, venait une quantité de seigneurs polonais dont les chevaux, harnachés de soie, d’or et de pierreries, excitèrent la bruyante approbation du peuple. En effet, les cavaliers français, malgré la richesse de leurs équipages, étaient complètement éclipsés par ces nouveaux venus, qu’ils appelaient dédaigneusement des barbares.

Jusqu’au dernier moment, Catherine avait espéré que la réception serait remise encore et que la décision du roi céderait à sa faiblesse, qui continuait. Mais lorsque le jour fut venu, lorsqu’elle vit Charles, pâle comme un spectre, revêtir le splendide manteau royal, elle comprit qu’il fallait plier en apparence sous cette volonté de fer, et elle commença de croire que le plus sûr parti pour Henri d’Anjou était l’exil magnifique auquel il était condamné.

Charles, à part les quelques mots qu’il avait prononcés lorsqu’il avait rouvert les yeux, au moment où sa mère sortait du cabinet, n’avait point parlé à Catherine depuis la scène qui avait amené la crise à laquelle il avait failli succomber. Chacun, dans le Louvre, savait qu’il y avait eu une altercation terrible entre eux sans connaître la cause de cette altercation, et les plus hardis tremblaient devant cette froideur et ce silence, comme tremblent les oiseaux devant le calme menaçant qui précède l’orage.

Cependant tout s’était préparé au Louvre, non pas comme pour une fête, il est vrai, mais comme pour quelque lugubre cérémonie. L’obéissance de chacun avait été morne ou passive. On savait que Catherine avait presque tremblé, et tout le monde tremblait.

La grande salle de réception du palais avait été préparée, et comme ces sortes de séances étaient ordinairement publiques, les gardes et les sentinelles avaient reçu l’ordre de laisser entrer, avec les ambassadeurs, tout ce que les appartements et les cours pourraient contenir de populaire.

[…]

Les discours commencèrent. Le premier fut au roi. Lasco lui demandait, au nom de la diète, son assentiment à ce que la couronne de Pologne fût offerte à un prince de la maison de France.

Charles répondit par une adhésion courte et précise, présentant le duc d’Anjou, son frère, du courage duquel il fit un grand éloge aux envoyés polonais. Il parlait en français ; un interprète traduisait sa réponse après chaque période. Et pendant que l’interprète parlait à son tour, on pouvait voir le roi approcher de sa bouche un mouchoir qui, à chaque fois, s’en éloignait teint de sang.

Quand la réponse de Charles fut terminée, Lasco se tourna vers le duc d’Anjou, s’inclina et commença un discours latin dans lequel il lui offrait le trône au nom de la nation polonaise.

Le duc répondit dans la même langue, et d’une voix dont il cherchait en vain à contenir l’émotion, qu’il acceptait avec reconnaissance l’honneur qui lui était décerné. Pendant tout le temps qu’il parla, Charles resta debout, les lèvres serrées, l’œil fixé sur lui, immobile et menaçant comme l’œil d’un aigle.

Quand le duc d’Anjou eut fini, Lasco prit la couronne des Jagellons posée sur un coussin de velours rouge, et tandis que deux seigneurs polonais revêtaient le duc d’Anjou du manteau royal, il déposa la couronne entre les mains de Charles.

Charles fit un signe à son frère. Le duc d’Anjou vint s’agenouiller devant lui, et de ses propres mains, Charles lui posa la couronne sur la tête : alors les deux rois échangèrent un des plus haineux baisers que se soient jamais donnés deux frères.

Alexandre Dumas, La Reine Margot, chapitre 12 : Les ambassadeurs (1845)

 

Lire l’intégralité du chapitre sur Gallica : La reine Margot. 2 / Alexandre Dumas | Gallica (bnf.fr)

 

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Tapisserie d’Antoine Caron décrivant le bas des Valois organisé par Catherine de Médicis en l’honneur des émissaires polonais arrivés en France en 1573 © WikiCommons

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