La reine pieuse : images et légende

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Article de Bruno Dumézil, docteur en histoire médiévale, professeur des universités (université Paris-Sorbonne)


Le nom de Clotilde est aujourd’hui associé au rôle que cette dame aurait joué dans la conversion de son époux, Clovis. Il reste toutefois difficile de dénouer l’écheveau de légendes qui se construisit autour du personnage.

Une princesse burgonde

Clotilde n’est presque jamais évoquée dans la documentation produite au début du VIe siècle, à l’exception d’une ligne de la Vie de sainte Geneviève, composée vers 520. Clotilde est mentionnée très brièvement dans les années 560 par l’évêque Nizier de Trèves et son importance est surtout soulignée par Grégoire de Tours, qui achève ses Dix livres d’Histoires au début des années 590. Si l’on en croit ce récit, Clotilde et sa sœur Chrona étaient les filles du roi burgonde Hilpéric, qui était établi dans la haute vallée du Rhône. Hilpéric fut tué par son propre frère, Gondebaud, qui se réserva le pouvoir royal. Pour des raisons qui nous échappent, Clotilde et sa sœur étaient catholiques, alors que la dynastie royale burgonde adhérait à l’homéisme, une doctrine qui considérait le Fils comme inférieur au Père dans la Trinité. Chrona se retira dans un monastère, tandis que Clotilde fut utilisée par son oncle Gondebaud pour nouer une union diplomatique avec le roi des Francs Clovis.

Vers le baptême de Clovis

Ce mariage pose d’importants problèmes de chronologie, d’autant qu’il est généralement considéré comme le point d’ancrage pour toute tentative de datation du baptême de Clovis. Grégoire de Tours pense que l’union a eu lieu très tôt, peut-être vers 490. Les historiens actuels penchent plutôt vers la date de 500/501 car à ce moment-là, Gondebaud perd une fille anonyme, qui avait été promise en mariage à un roi voisin, ce qui expliquerait qu’il donne une nièce en mariage.  Si l’on continue de suivre le récit de Grégoire de Tours, Clotilde cherche à convaincre son mari de passer du paganisme au christianisme catholique. Elle obtient que son premier enfant, Ingomer, soit baptisé, mais le nouveau-né meurt presque aussitôt. La reine ne perd pourtant pas en influence : les autres enfants du couple, Clodomir, Childebert Ier, Clotaire Ier et Clotilde II seront baptisés eux aussi. Son action contribue probablement au baptême de Clovis, mais l’événement est difficile à reconstituer. Clotilde semble être établie à Paris lorsque son époux meurt à la fin de l’année 511.

La régente mise en échec par ses propres fils

La succession de Clovis se déroule sous la forme d’un partage inégal entre Thierry Ier, né d’un premier lit et déjà adulte, et les trois jeunes fils nés de Clotilde. Sans doute faut-il voir dans ce règlement la trace du pouvoir de négociation de la reine. Pendant les années 510, Clotilde semble assurer la régence au nom de ses trois fils et notamment de Clodomir Ier, qui dispose d’un vaste royaume centré sur la vallée de la Loire. Elle mène alors une politique hostile à la Burgondie, pourtant désormais dirigée par un roi catholique, Sigismond. Grégoire de Tours parle d’une volonté de vengeance de la part de Clotilde, mais il s’agit plutôt d’une tentative de nuire à son beau-fils Thierry Ier, qui poursuit l’alliance avec les Burgondes. Clotilde a assez d’autorité pour que deux de ses protégés soit nommés conjointement évêques de Tours en 519-521, au mépris des règlements canoniques. Lorsque Clodomir meurt à la bataille en 524, Clotilde semble vouloir assurer la régence au nom des enfants de ce dernier. Mais elle en est empêchée par ses fils cadets, Childebert Ier et Clotaire Ier, qui se partagent le royaume de Clodomir. Grégoire de Tours rapporte que les deux rois auraient alors consulté leur mère pour lui demander si elle voulait que les enfants de Clodomir soient envoyés au monastère. Clotilde aurait répondu « Plutôt morts que tondus », avant de se raviser. Trop tard car deux garçons avaient déjà été assassinés. Privée de rôle politique, Clotilde se retira à Tours où elle vécut le reste de son existence dans la prière et la charité.

La construction de la légende

À sa mort, son corps fut ramené à Paris pour y reposer au côté de Clovis, dans l’église des Saints Apôtres située au sommet de la Montagne Sainte-Geneviève. En fondant leurs propres nécropoles à Saint-Germain-des-Prés et à Saint-Médard-de-Soissons, Childebert Ier et Clotaire Ier prirent toutefois soin de se distancier de Clotilde. Par la suite, la mémoire de la reine fut réactivée par un chroniqueur rhodanien du VIIe siècle, Frédégaire, et surtout par une histoire anonyme composée dans les années 720, le Liber Historiae Francorum. La sainteté de Clotilde ne fut toutefois établie qu’à partir du Xe siècle. Les impératrices de l’Empire romain-germanique, souvent régentes au nom de fils mineurs, virent alors dans la reine des Francs un modèle de souveraineté féminine à promouvoir.  En France, le culte peina toutefois à se diffuser. Il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour que la dédicace à Clotilde se répande dans les paroisses. Une première église Sainte-Clotilde est élevée à Paris en 1857. Il en est de même à Reims en 1896. Chez les catholiques, l’image de la femme pieuse réussissant à amener son mari à la messe répond alors aux attentes de la famille bourgeoise : la représentation de Clotilde se multiplie dans les images de piété. Le très laïc Petit Lavisse de 1913 présente plutôt la reine comme la femme qui a amené un barbare à suivre l’enseignement de l’évêque Remi : figure scolaire, elle apparaît sous un jour positif. Cette légende dorée de Clotilde a paradoxalement contribué à maintenir dans l’ombre d’autres reines mérovingiennes plus appréciées de leurs contemporains, comme Ultrogotho ou Radegonde, ou des souveraines bien mieux documentées comme Brunehaut ou Bathilde.

À lire :

Bruno DUMÉZIL, Le baptême de Clovis : 24 décembre 505 ?, Paris, Gallimard, 2019.

Régine LE JAN, Les Mérovingiens, Paris, PUF, 2018.

Michel ROUCHE (éd.), Clovis, histoire et mémoire,  Paris, PUPS, 1997.

Crédits images : 

Bannière de l’article : 

Julie Hugo, L’Enfant malade, ou Clotilde demandant la guérison de son fils, vers 1819-1865, Huile sur toile. Dim. (H x L cm) : 73 x 59. ©WikiCommons / Musée municipal de Bourg-en-Bresse.

Corps du texte : 

Joaquin Sorolla, Sainte en adoration, 1888, Huile sur toile. Dim. (H x L cm) : 78 x 61. ©WikiCommons / Musée du Prado (Madrid).

R. Bresson, Baptême de Clovis, Il y avait autrefois, E.Billebault, Les Éditions de l’école, 1960, p. 17. © Internet Archive. À consulter ici : https://ia601501.us.archive.org/19/items/HistoireCE_Billebault/Histoire%20CE-Ed%20l%20%C3%A9cole%209e%20edition.pdf

Charles André van Loo, Sainte Clotilde en prière au pied du tombeau de saint Martin, 1753. Peinture. Dim. (H x L cm) : 278 x 173. ©WikiCommons / Musée des Beaux-Arts de Brest.

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