La guerre d’indépendance grecque, 1821-1830

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Par Joëlle Dalègre, agrégée d'histoire, docteure en géographie, maître de conférences émérite à l'Inalco


« Mieux vaut une heure de vie libre que quarante ans d’esclavage et de prison »
(Thourios, Rhigas Feraios, 1797)

1814

Napoléon, vaincu, rejoint l’île d’Elbe et à Vienne, se réunissent les représentants des grandes puissances pour décider du sort de l’Europe ; au même moment, à Odessa, trois commerçants grecs fondent la Société des Amis (ou Hétairie). Deux réalités : les uns redessinent la carte, restaurent les monarchies absolues et tentent d’effacer les idées de liberté et de souveraineté nationale ; les autres, en apprenant qu’à Vienne on refuse d’entendre un délégué des Grecs – un peuple qui, selon Metternich, n’existe pas- , créent une société secrète et planifient une insurrection pour créer un État indépendant nouveau.

L’Empire ottoman ne parle pas de Grecs, mais de Rums – des chrétiens orthodoxes – conquis depuis quatre siècles, que le sultan, monarque absolu et khalife, tolère mais humilie comme des sujets de second ordre et sur lesquels il a le droit de vie et de mort. Contre lui, Catherine II savait pourtant qu’on pouvait faire appel à des « Grecs » pour créer un deuxième front, ou pour peupler de chrétiens les villes nouvelles de Marioupol ou d’Odessa, Bonaparte lui-même avait caressé un projet analogue.

1821

Les Rums n’ont pas oublié qu’ils sont un peuple conquis, hellène de culture et chrétien. L’Hétairie s’inscrit dans la lignée des intellectuels et commerçants qui ont traduit et propagé les idées de la Révolution française, et les insurgés, dès janvier 1822, proclament leur indépendance et adoptent une constitution inspirée du texte français de 1791.

Pourquoi déclencher l’insurrection en 1821 quand l’Autriche vient d’intervenir militairement pour étouffer les libéraux au Piémont, à Naples, en Sicile ? Toute l’Europe méditerranéenne s’agite, l’ambitieux pacha de Iannina s’oppose au sultan, l’Hétairie qui a étendu son réseau craint de se voir découverte et croit le moment venu.

L’insurrection générale prévue ne prend pied finalement que dans le Péloponnèse et les îles mais, pendant un an, la maîtrise de la mer et de la guérilla apporte des succès aux Grecs qui parviennent même à détruire une armée et le navire amiral ottoman. Les combats sont sauvages et les répressions sanglantes : le Patriarche est pendu et son corps profané, et, en avril 1822, ont lieu les massacres de Chios.

1824

Les Grecs perdent progressivement du terrain, les coups sont rudes : la destruction de Kassos et de Psara, deux guerres civiles entre factions régionales ou sociales, le renfort apporté au sultan par Ibrahim Pacha d’Égypte qui pratique la terre brûlée dans le Péloponnèse. Mais la mort de Byron à Missolonghi ébranle l’opinion occidentale et encourage le mouvement exceptionnel né dès l’été 1821, le philhellénisme. Une immense émotion saisit les Européens, de la Pologne au Portugal jusqu’aux États-Unis. Mues par le désir de sauver les descendants des antiques Hellènes, d’aider les combattants de la liberté ou ceux du christianisme, toutes les classes sociales participent à des collectes, spectacles et ventes pour envoyer aux Grecs armes, munitions ou nourriture. Même Chateaubriand, qui l’année précédente avait envoyé l’armée française réprimer les libéraux espagnols, devient subitement le défenseur de l’insurrection.

Le tableau de Delacroix et son sous-titre Familles grecques attendant la mort ou l’esclavage, exposé peu après l’annonce de la mort de Byron, contribue à accentuer cette émotion.

1827

Les Grecs s’épuisent, mais ils résistent encore. Hors du Péloponnèse, la pression des peuples sur les gouvernements grandit, le commerce en Méditerranée est atteint, la Grande-Bretagne et la Russie craignent de voir leur rivale intervenir… il faut enfin agir : en juillet 1827, Angleterre, Russie et France décident à Londres d’imposer aux belligérants un cessez-le-feu et de créer une Grèce autonome. Une flotte conjointe des trois pays surveille les côtes grecques tandis que le sultan refuse le texte. Et c’est le coup de feu fatal et décisif à Navarin en octobre : la flotte turque est détruite et, quelques mois plus tard, une expédition française conduite par le général Maison débarque dans le Péloponnèse et pousse Ibrahim à évacuer.

1830

La Russie profite de la situation, elle déclare la guerre à l’Empire ottoman en 1828 et remporte une large victoire, en particulier dans le Caucase ; la Grande-Bretagne, pour contrer l’influence russe, pense alors qu’il vaut mieux créer une Grèce indépendante qu’elle pourrait contrôler. Par le protocole de Londres en février 1830, l’Angleterre, la Russie et la France imposent au sultan la création d’un État grec indépendant et dessinent ses frontières.

Dix ans de guerre sans merci émaillée d’atrocités dans les deux camps, un pays ravagé, en ruines, qui a perdu un quart de sa population… mais une petite Grèce indépendante existe. Cette naissance chèrement payée marque une étape dans l’histoire européenne : par dix ans de sacrifices, un peuple, aidé par d’autres peuples, a imposé sa volonté à des gouvernements rétifs.

À lire :

Joëlle DALÈGRE, « La presse française au début des années 1820 : la Grèce, un pays comme un autre », Vartejanu-Joubert Madalina, Pitsos Nicolas et Bohiltea-Mihut Florica, Des Balkans à la Cordillera des Andes, Garnier, 2023, p. 111-126.

Crédits images :

Johann Georg Christian Perlberg, Battle scene from the Greek War of Independence, 1827 © Wikimedia Commons

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