Deffence et Illustration de la langue françoyse (1549) : un audacieux plaidoyer

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Article de Françoise Argod-Dutard, professeur honoraire des universités (langue et littérature du XVIe siècle)


Ce petit ouvrage, composé de deux livres de douze chapitres, consacré à des faits de langue et d’écriture poétique, est un manifeste novateur. Qu’est-ce qui, au-delà des idées, reprises ici ou là, à Sperone Speroni ou à Sébillet lui-même, exprime donc une rupture dans le domaine de la langue et de la poésie? Essentiellement trois idées et quelques principes.

Pour « l’ornement et amplification » de la langue française

         – Affirmer que la diversité des langues est un fait naturel et positif est inconcevable à une époque où le pluralisme ne peut être que le résultat de l’orgueil des hommes ;

         – Dire que le développement des langues, des arts et des civilisations est un fait de culture va à l’encontre d’une inégalité des langues et des individus ;

         – Introduire le principe d’égalité des chances et faire l’apologie de la libre concurrence dans le domaine linguistique et littéraire paraît inconcevable.

Mais ce manifeste contient aussi des principes originaux : « Le principal but où je vise, c’est la défense de notre langue, l’ornement et amplification d’icelle » (II, 11) affirme en effet le polémiste qui conseille au poète de lire « tous ces vieux romans et poètes français» (II, 6), de « hanter quelquefois, non seulement les savants, mais aussi toutes sortes d’ouvriers et gens mécaniques » (II, 11). Enfin utiliser le mot propre mais aussi en emprunter aux autres langues ou dialectes, en créer par le « provignement » peuvent constituer des conseils curieux pour le poète traditionnel.

Se nourrir du plurilinguisme ambiant

Certaines de ces idées vont pourtant s’imposer au cours du siècle, en langue notamment, favorisées par le plurilinguisme ambiant et l’influence du latin. Sur le plan phonétique, il en résulte un grand nombre de variantes qui autorisent l’individualisation de la prononciation ou de l’écriture, augmentent les possibilités rimiques et rythmiques (ouismes de la Touraine, rimes normandes et gasconnes…). L’emprunt dialectal est prôné par J. Peletier du Mans dans son Art poëtique (1555) et Ronsard conseille au jeune poète dans son Abbregé de l’Art pœtique françoys (1565) « de ne se soucier si les vocables sont Gascons, Poitevins, Normans, Manceaux, Lionnois, ou d’autres païs, pourveu qu’ils soyent bons et que proprement ilz expriment ce que tu veux dire ». Quant au latin, son influence se note surtout en orthographe, en syntaxe et dans le lexique. En dépit des réformes orthographiques à tendance phonétique, proposées notamment par Sylvius, L. Meigret ou H. Rambaud, l’écriture conserve au XVIe siècle la plupart de ses lettres étymologiques. Quant à la syntaxe, elle a calqué certains de ses tours sur le latin : les traductions littérales d’ablatifs absolus prépositionnels, les propositions infinitives ou participiales, les infinitifs substantivés et les périphrases verbales sont devenues plus fréquentes. C’est surtout le lexique qui est envahi par les latinismes. On recourt aux sens étymologiques, on substitue une forme latine à une forme française (imbu remplace embu), on crée des différenciations de sens en introduisant des emprunts (potion et poison), on utilise des suffixes en -issime

      Le poète : artisan et promoteur d’une langue « nationale »

Sur le plan poétique, l’influence de La Defence n’en est pas moins importante. Du Bellay accompagne son œuvre théorique d’un recueil de sonnets, L’Olive, qui s’inspire du pétrarquisme à la mode italienne. Suivent les Odes de Ronsard, qui précèdent ses Amours et celles de Baïf. Viennent ensuite les Hymnes  de Ronsard, la Cléopâtre de Jodelle dans le domaine dramatique, les Antiquités de Rome et les Regrets  de Du Bellay.

Dans les déclarations et les réalisations, on peut noter quelques caractéristiques nouvelles :

         – si le poète est inspiré par la Muse, cet élitisme culturel est cependant indissociable du rôle dévolu au travail : artisan du vers, comme les maçons et les charpentiers, il exerce un « art » ;

         – l’exigence de liberté pour le créateur est partagée par les poètes de la Pléiade qui veulent se différencier des poètes en quête de bénéfices ;

         – ces propositions sont sous-tendues par une idéologie moderniste et progressiste ;

         – enfin, ces poètes se veulent aussi « enfants de la patrie ». C’est un mouvement littéraire qui se calque sur le sentiment émergent d’une conscience nationale fondée sur un humanisme choisi dans une république universelle des arts, des sciences et des lettres.

Tels sont les principes. Quant aux réalisations, leur valeur est définie par leur manière de traverser les siècles. Ronsard a fait des roses de Bourgueil l’ancêtre de toutes celles qui s’épanouiront sous les doigts des poètes. Du Bellay, en signant le manifeste de la nouvelle école et en élevant le petit Liré plus haut que le mont Palatin, a donné à son village la noblesse de la lyre d’Orphée.

 

À lire :

La Deffence et Illustration de la Langue Françoyse  de Joachim Du Bellay, texte édité par Henri Chamard et préfacé par  Jean Vignes, Paris, SFTM, 1997.

La Defence et illustration de la langue française et l’Olive de J. Du Bellay, Genève, Droz, 2007.

F.Argod-Dutard, «Au siècle de la Renaissance, la langue française, objet et arme de combat», La revue des Lyriades, n°1, avril 2012, p. 4.

Défense et illustration de la langue française aujourd’hui, Liminaire de Xavier North et Jean-Pierre Siméon, Paris, Gallimard, 2013.

 

Crédits photos :

Illustration de l’article : Joachim Du Bellay,La Deffence, et illustration de la langue francoyse . Par I. D. B. A., 1549 ©Gallica/BnF

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