La culture et les arts aux sources du style de Théophile Gautier

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Article d'Anne Geisler-Szmulewicz, maître de conférences à l’université d’Évry-Val d’Essonne, ancienne présidente de la Société Théophile Gautier


Théophile Gautier est resté, dans l’histoire littéraire, comme un écrivain possédant une maîtrise exceptionnelle de la langue, quel que soit le champ dans lequel son activité s’est inscrite (poésie, œuvres narratives, critique d’art et critique dramatique, récits de voyage). La dédicace bien connue des Fleurs du mal au « parfait magicien ès lettres françaises » résume cette reconnaissance. Mais cette qualité éblouissante du style a son revers : certains (comme Zola ou Gide) ont vu dans le soin particulier apporté à la langue l’indice d’une supposée absence d’idées ou de cœur.

Les écrits de Gautier témoignent tous en faveur de sa passion pour la langue. En bon romantique, il déclare la guerre à la rhétorique, refuse le diktat des grammairiens et des membres de l’Institut, tout en fustigeant les fautes de français de ses contemporains. Insistant sur le principe de l’inséparabilité de l’idée et de son expression, il loue la beauté des styles les plus différents, y compris ceux que ses contemporains n’abordent qu’avec de nombreuses réserves, comme celui de Balzac. Sa propre pratique de la langue rend son œuvre (notamment ses écrits en prose) aisément reconnaissable.

Une place prépondérante accordée à la description

L’écriture est tout d’abord une « écriture de la présence », selon le mot de P. Tortonese. Gautier, qui a commencé sa carrière comme apprenti-peintre chez Rioult avant de se lancer dans les lettres, puise largement dans les domaines des arts plastiques (peinture et sculpture) pour décrire les choses, les lieux, les personnages dont il veut rendre compte. Il opère fréquemment la transposition d’un art dans un autre, en recourant à l’ekphrasis, en empruntant aux termes de l’analyse picturale ou encore en multipliant les notations chromatiques. Il entend ainsi non seulement dégager l’essence de l’objet mais aussi exprimer l’enthousiasme que suscite en lui la beauté.

À la recherche du mot juste

Une des qualités clef que revendique Gautier dans sa pratique d’écrivain comme dans celle de critique est la justesse de la langue. Il cherche le mot précis, le mot rare, et puise abondamment dans les dictionnaires. Selon l’une de ses formules, restée célèbre, l’inexprimable n’existerait pas. La langue est ainsi mise au défi, elle devient un terrain d’expérimentation, qu’il s’agisse de décrire l’expérience d’un voyage en Russie, de se lancer dans un roman archéologique (Le Roman de la momie), ou encore de se livrer à des pastiches d’époque et/ou de style (Le Capitaine Fracasse, Le petit chien de la marquise.)

Références culturelles et revendications esthétiques

Gautier recourt plus que la plupart de ses contemporains aux références culturelles, que ce soit par le biais de l’allusion ou de la citation. Ces références sont empruntées tant aux beaux-arts qu’à la littérature ou la musique. Il établit ce faisant une connivence avec ses lecteurs tout en tissant des liens d’une œuvre à l’autre, façon là encore de revendiquer ses choix esthétiques. Pour autant l’érudition de Gautier n’est ni gratuite ni décorative : la référence vient de fait enrichir la représentation ; elle renvoie à un modèle archétypal, ce qui lui permet d’échapper à la trivialité du réel.

Une écriture de la distanciation

L’écrivain a insisté très tôt sur son refus de l’épanchement et il s’est montré sévère vis-à-vis de tous ceux qui se laissaient aller à la confession et au sentimental. Cette distanciation se manifeste principalement par la recherche d’une certaine objectivité (que la critique a confondue avec de l’impersonnalité), mais aussi par l’humour, voire l’ironie. Les personnages, dépourvus de psychologie, sont en fait porteurs des valeurs et des goûts esthétiques de l’auteur ; ils tendent souvent à l’allégorie et à l’abstraction, Gautier visant à une vérité universelle de l’œuvre (voir la préface de Fortunio). L’humour omniprésent dans l’œuvre narrative, affleure même dans certains romans où on ne l’attendrait pas, comme Spirite. Gautier, grand admirateur de Rabelais, de Sterne et de Heine, exhibe souvent la convention pour en jouer, empêchant l’identification du lecteur aux personnages.

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Jean-François Millet, Le Printemps, entre 1868 et 1873, Musée d’Orsay © WikiCommons

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