Lorsque la première tranche de la construction du nouveau siège du Comité central du Parti communiste français (PCF) est inaugurée en 1971 sur la Place du Colonel Fabien dans le XIXe arrondissement de Paris, son architecture moderne attire l’intérêt de la presse architecturale en France et dans l’outre-mer. De l’autre côté de la Manche, le magazine britannique The Architectural Review lui consacre un dossier dans lequel le discours officiel du PCF sur son entreprise architecturale est considéré comme donnant le « ton d’une propagande sans complexes ».
Un bâtiment, symbole politique
De fait, le programme politique du Parti est profondément lié à la construction elle-même. Cinq ans auparavant, en 1966, après une période de crise, la réunion du Comité Central du PCF à Argenteuil, réoriente le Parti dans un processus de rénovation qualifié en France d’aggiornamento. Ce terme italien instaurait un parallèle avec les processus de réforme que venait de traverser l’Église catholique romaine (1959-1962). En réalité, les débats théoriques et les conflits idéologiques qui émergent alors, à la veille des événements de mai 1968, ne sont pas pour l’architecture du nouveau siège une simple toile de fond. Ils portent sur les choix architecturaux et politiques mêmes qui vont conduire à sa construction, à commencer par le choix de l’architecte, Oscar Niemeyer.
Un choix d’architecte qui n’est pas anodin
L’association directe du choix du Brésilien à cette campagne élargie de déstalinisation du PCF n’échappe pas au Monde. À l’occasion de l’inauguration du « parallélépipède ondulé », le journal souligne : « Au demeurant, la “ligne” du PCF en matière d’art, définie par le comité central d’Argenteuil en 1966, admet une plus grande ouverture et une plus grande liberté en matière de création artistique ». L’architecte communiste de la nouvelle capitale, moderne, du Brésil s’était établi à Paris justement en quête de liberté après le coup d’État militaire d’avril 1964. Outre sa renommée mondiale, c’est en raison de ses positionnements politiques clairs et des circonstances historiques liées à la réorientation de la Guerre froide vers l’Amérique latine qui l’amènent à l’Hexagone. Niemeyer développe ce projet avec une équipe de collaborateurs français et brésiliens de différentes générations, proches ou pas du PCF, à l’instar du « constructeur » Jean Prouvé – responsable pour la conception du mur-rideau en verre réflexif – mais aussi des architectes Jean Nicolas, Jean Deroche, Paul Chemetov, Anastase Gattos, Joseph Daïdonne et José Luiz Pinho, et de l’ingénieur Jacques Tricot du Bureau d’études et de réalisations de l’industrie moderne (BERIM), lié au Parti communiste. Le maître d’ouvrage est la « Société Immobilière de la Place du Colonel Fabien », seule forme légale utilisable par le PCF pour réaliser l’entreprise.
À la revue brésilienne Manchete, Niemeyer déclare en 1967 : « la principale caractéristique de mon projet [pour le siège du PCF] est le rez-de-chaussée, qui est presque entièrement clos, et dont le sol comprend des plans inclinés et des pentes, permettant sur le sol semi-enterré un jeu de niveaux et aussi un grand espace libre où se trouvent le hall d’entrée, la salle d’exposition, et une salle de conférence d’une capacité de mille personnes ». Encore selon Manchete, Picasso y était si enthousiaste devant la maquette de l’édifice « qu’il était prêt à sculpter des pièces pour décorer l’esplanade du spectaculaire bâtiment ».
La complexe édification du siège
Mais l’inauguration du siège en 1971 n’est que partielle. Après le début du chantier en février 1968, lorsque le PCF perd 40 sièges aux élections législatives du mois de juin, ses dirigeants concluent qu’il n’a pas les moyens de l’achever. En 1972, non par coïncidence, Niemeyer fonde une agence d’architecture à Paris qu’il entretient avec la collaboration de l’architecte Jean-Maur Lyonnet.
Les travaux d’édification de l’esplanade, y compris la coupole recouvrant la salle de conférences et qui émerge insolite dans le Paris de Haussmann, ne reprennent qu’en 1978, bien après le décès de Picasso, lorsque le PCF semble s’éloigner de l’aggiornamento. Le parti devait néanmoins achever le projet qui symbolisait ce processus. C’est Lyonnet qui coordonne la deuxième phase de construction du bâtiment, entre septembre 1978 et juin 1980. En tant que témoignage de l’engagement culturel communiste, et dans la mesure où il est l’une des formes que ce dernier donne à sa volonté de renouveau, la « maison de verre » finit par relever d’une forme d’utilité publique : depuis 2007, l’œuvre est inscrite au titre des monuments historiques.
Reste que pendant ces cinquante dernières années, le bâtiment n’a cessé de susciter l’intérêt et l’enthousiasme, de Picasso (alors que le bâtiment était encore à l’état de maquette) à The Architectural Review, en passant par le public moins averti, de « gauche » comme de « droite », qui se balade sur les hauteurs de Belleville. Son architecture semble incarner une espèce d’aggiornamento à l’envers, une sorte de « futur passé », ou le temps même de l’histoire. C’est celui qui relève, selon l’historien allemand Reinhart Koselleck, non pas d’unicité, mais d’ « une multitude de temps, de rythmes temporels, reflétant des actions sociales et politiques dissemblables, des acteurs concrets, agissants et souffrants, et des institutions et des organisations qui leur sont liées » (Hervé Mazurel, « Présences du passé, présences du futur », Écrire l’histoire, no 11 (2013), p.99-102 Présences du passé, présences du futur (openedition.org))
À lire :
Vanessa Grossman, Benoît Pouvreau, Oscar Niemeyer en France : un exil créatif, Paris, éditions du Patrimoine, coll. Carnets d’architecture, 2021
Vanessa Grossman, Place du colonel Fabien, Dominique Carré éditeur (à paraître)