Ernest Renan, Sagesse et Beauté

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Ernest Renan, Sagesse et Beauté par André Bettencourt, délégué de l'Académie des Beaux-Arts

Ce discours est prononcé à l'occasion de la Séance publique annuelle des cinq Académies du mardi 20 octobre 1992

ERNEST RENAN, SAGESSE ET BEAUTÉ

par

André BETTENCOURT

délégué de l’Académie des Beaux-Arts

Commencerai-je par une confession ? Sous une coupole qui fut celle d’une chapelle, après tout, pourquoi pas ? Je suis né dans une famille profondément catholique. Dans mon enfance, Renan c’était l’enfer. Peut-être quelques-uns de ses ouvrages se trouvaient-ils dans la bibliothèque de mon père. Je n’y avait pas accès. Je n’ai lu que plus tard L’histoire des origines du Christianisme.

Les interdits de l’enfance vous poursuivent toute la vie. Pendant longtemps, donc, je me suis contenté d’une idée vague et sulfureuse. Renan : la science et la religion, ou le combat sans merci de l’une contre l’autre. Tel le voulait l’avertissement de mes maîtres. Pourquoi serais-je allé chercher plus loin? Le respect des hiérarchies naturelles est parfois l’autre nom de la paresse.

Vous imaginez donc la paradoxale situation qui est la mienne aujourd’hui. Braver un préjugé, cela n’est rien : de nos jours, la chose est même plutôt recommandée. Mais ouvrir les livres de Renan pour des raisons tout à fait étrangères à celles qui m’en avaient d’abord tenu éloigné, traiter de Renan et des arts, voilà pour moi la vraie surprise !

Ce ne fut pas la seule d’ailleurs. Je me figurais que l’art occupait dans l’œuvre de Renan une place périphérique : il a un rôle essentiel. On pourrait même dire qu’il fut l’école de sa pensée.

Arrêtons-nous un instant sur une scène qui fait justice de cette vision si répandue d’un Renan préoccupé seulement de science. Nous sommes en 1855. Renan a trente-deux ans et l’Exposition universelle vient de s’ouvrir à Paris. Entre autres prodiges, M. Krupp a fondu en un lingot plusieurs tonnes d’acier! «L’homme s’américanise» note Baudelaire. Déjà!

Croyez-vous que Renan s’enthousiasme ? Qu’il entonne la louange de l’industrie et des techniques ? Pas du tout ! Entendons-le soupirer en sortant de l’exposition: « Que de choses dont je pourrais me passer… »

Il s’étonne, il s’indigne. Puisque l’on voulait honorer les ingénieurs et les savants, que n’a-t-on appelé des écrivains et des artistes? Hélas! Il n’y a pas de poésie dans l’Exposition universelle. Il est bien le seul à la chercher en pareil endroit.

Singulier moderniste ! Il n’admet pas la dualité de la beauté et du progrès. Drôle de parois- sien pour un positiviste! L’art lui a révélé sa vocation.

Sans l’art, le séminariste de Saint-Nicolas, obsédé de vérité historique, n’aurait-il pas échangé ce qu’il considérait comme une aliénation – la religion – contre une autre aliénation, celle de la science ? Des burettes aux éprouvettes, il eût été rigoriste avec un égal entrain dans un parti ou dans l’autre. On l’a dit: les prisons les plus solides sont parfois celles dont on est le geôlier.

Sans l’art, le jeune ambitieux qu’il était après la rupture avec l’Église n’eût-il pas poussé sa doctrine jusqu’au système ? Rappelons-nous Sartre disant à vingt ans : « je veux ma philosophie » ! Au même âge, Renan lui ressemble un peu: il a cette fureur conceptuelle que produit la conjugaison juvénile de l’orgueil et de la naïveté. Mais l’art était là, qui l’a humanisé. Et lui a permis de renouer avec les promesses de son enfance.

… 

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Ernest Renan, Sagesse et Beauté

Illustration de l’article : Château Saint-Ange de Rome, Giacinto Gigante © Collection privée | Wiki Commons

 

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