Ernest Renan au séminaire

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Ernest Renan au séminaire par le Révérend Père Carré, délégué de l'Académie française

Ce discours est prononcé à l'occasion de la Séance publique annuelle des cinq Académies du mardi 20 octobre 1992

ERNEST RENAN AU SÉMINAIRE

par

le Révérend Père CARRÉ

délégué de l’Académie française

Né au sein d’une famille pauvre, Ernest Renan fit ses débuts dans le latin chez les Frères de Lannion. Remarqué par un prêtre de Tréguier, dans la boutique d’épicerie et de fournitures que tenait la très pieuse Madame Renan, il entre au petit séminaire ou École ecclésiastique de Tréguier en 1832. Il a 9 ans. Ses succès scolaires sont grands. Le palmarès de l’année 1838 retint l’attention de l’abbé Dupanloup qui cherchait des recrues pour le petit séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet dont I ‘Archevêque de Paris venait de lui confier la direction. Dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse, publiés en 1883, Ernest Renan raconte la scène en trois mots : « Faites-le venir », dit l’impérieux supérieur. II raconte aussi le désastre que fut d’abord la transplantation. Il faillit renoncer après une grave maladie, mais le contact avait été établi avec l’abbé Dupanloup, un contact affectueux et confiant. « J’existai pour lui », écrit Renan.

Certes, le petit séminariste n’ignore pas les défauts de son maître. Il le trouve « trop peu rationnel, trop peu scientifique ». Cependant, il était un principe de vie et de vie intense. Renan lui rend hommage : « Pendant trois ans, je subis cette influence profonde qui amena dans mon être une complète transformation… Du pauvre petit provincial le plus lourdement engagé dans sa gaine, il avait fait un esprit ouvert et actif ». La littérature contemporaine le fit pénétrer dans un monde inconnu. Saint-Nicolas du Chardonnet possédait une maison de campagne : « Dans nos promenades à Gentilly, raconte Renan, aux récréations du soir, nos discussions étaient sans fin. Les nuits, après cela, je ne dormais pas : Hugo et Lamartine me remplissaient la tête ». D’ailleurs, le supérieur s’y mêlait, et, pendant près d’un an, aux lectures spirituelles il ne fut pas question d’autre chose ». Ce qui est surprenant et regrettable, avouons-le. Pour autant les auteurs classiques n’étaient pas oubliés. Renan est passionné par Eschyle dont il annote les œuvres complètes. Au programme se trouvent aussi certains textes de Démosthène, de Platon, d’Horace, de Tite-Live. Les œuvres complètes de Racine et les Oraisons funèbres de Bossuet sont également annotées de sa main.

N’allons pas penser que les difficultés dans le domaine religieux n’existent pas encore. « Mes vieux prêtres de Bretagne, écrit Renan, savaient bien mieux les mathématiques et le latin que mes nouveaux maîtres, mais ils vivaient dans des catacombes sans lumière et sans air. Ici, l’atmosphère du siècle circulait librement ». Cette constatation du séminariste explique d’abord pourquoi il se juge perdu pour l’idéal modeste qui était le sien à Tréguier. Pour la première fois, il donne un sens aux mots talent, éclat, réputation. Ensuite, la totale liberté de pensée qui lui est laissée l’engage, sans préparation suffisante, sur ce qu’il appelle « une mer où toutes les tempêtes, tous les courants du siècle avaient leur contre-coup ». Dans l’esprit et dans le cœur de ce garçon de 17-18 ans, sensible et subjectif, le passage du christianisme breton à celui de Saint-Nicolas fut donc déconcertant. Le premier, dira-t-il, ne ressemblait pas plus à « celui que je trouvais ici qu’une toile dure comme une planche ne ressemble à de la percale ». L’humanisme superficiel que l’on enseignait « fit chômer en moi, écrira,-t-il, trois mois, le raisonnement en même temps qu’il détruisait la naïveté première de ma foi ». Néanmoins, Renan déclare que : « Rien dans (son) esprit ne put encore s’appeler doute ». Chaque année, lors de ses vacances en Bretagne, il s’y retrouvait tout entier « tel que ses premiers maîtres (l’)avaient fait ».

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Ernest Renan au séminaire

Illustration de l’article : Vue de l’église Saint-Sulpice, François Etienne Villeret (XIXe siècle) © Collection privée | Wiki Commons

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