Herriot, incarnation de la République parlementaire

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Entretien écrit avec Bruno Benoît, agrégé et docteur en histoire, professeur émérite à Sciences Po Lyon


De 1870 à 1940, la IIIe République s’impose dans la durée après un siècle d’instabilité politique. Né avec le régime, Édouard Herriot entre en politique à la suite de l’affaire Dreyfus, au moment où la majorité se soude autour des radicaux contre la droite nationaliste. Il se trouve au tout premier plan de la scène politique lors de la mise en place du régime de Vichy. Du début à la fin, son existence se confond ainsi avec l’histoire de la IIIe République, au point d’apparaître comme une vivante incarnation du régime. 

− Diriez-vous qu’Édouard Herriot fut à la fois « enfant » et « artisan » de la République ?

Herriot, né en 1872 en Champagne, appartient par ses origines sociales à la petite bourgeoisie. Ce sont ses qualités intellectuelles qui en font un modèle parfait de la réussite par l’école. Remarqué par son instituteur, il obtient une bourse pour poursuivre ses études et décroche la première place au concours de la rue d’Ulm. D’une grande culture gréco-latine, agrégé de lettres classiques, passionné d’histoire, il devient professeur en Première supérieure (Hypokhâgne) au lycée Ampère de Lyon en 1895. Il est profondément républicain, mais sa République, bien que laïque, est tolérante et parlementaire. Il a su, durant les terribles années 1930, quand les ligues de droite secouaient la République comme lors du 6 février 1934, être celui qui n’a jamais faibli, jamais douté de son engagement républicain et défendre, d’abord en tant que président du Conseil, puis président de la Chambre à partir de 1936, les principes de liberté, égalité et fraternité. Certes en juillet 1940, en tant que président de la Chambre, il n’a pas voté contre les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, il s’est abstenu.

− Ses idées politiques, celles du radicalisme, ont-elles évolué au cours d’une carrière de plus d’un demi-siècle ?

Herriot est un radical-socialiste, plus radical que socialiste, pas très porté, lors du Front populaire en 1936, à une alliance avec les communistes. Son radicalisme est porteur des valeurs de 1789, celles inscrites dans la devise républicaine. Par ailleurs, il défend le petit contre le gros : petit commerçant, petit agriculteur, petit artisan, ce qui l’oppose aux nationalisations voulues par les communistes. Il se situe dans les années 1930, face à un autre radical Édouard Daladier, dans un camp plus à droite au sein du parti radical. Son radicalisme ne change pas, il est empreint de tout ce qui a été fait par la IIIe République : l’école, le colonialisme, la laïcité, le parlementarisme. C’est pourquoi, il s’oppose à de Gaulle, à la Libération en 1944-45, car il voit dans la personne du général un candidat au pouvoir personnel perturbateur de la République parlementaire.

− Dans quel rôle Edouard Herriot s’est-il le mieux accompli selon vous ? Est-ce comme parlementaire ? Comme gouvernant ? Ou encore comme maire ?

Dans sa longue carrière politique, un demi-siècle, il occupe tous les postes : député, sénateur, ministre, président du Conseil, président de la Chambre, maire de Lyon pendant 52 ans (1905-1957). Ses expériences de Président du Conseil en 1924 (Cartel des gauches) et 1932 n’ont pas été très concluantes. En revanche en tant que ministre de Affaires étrangères – souvent allant de pair avec la présidence du Conseil – il est devenu un ami de l’URSS, puisque c’est sous sa présidence du Conseil que la France reconnaît l’URSS en 1924, mais lors de voyages dans ce pays il ignore la grande famine qui touche l’Ukraine au début des années 1930. Au-delà de ces considérations, c’est indiscutablement le rôle de maire de Lyon dans lequel il excelle, régulièrement élu et réélu depuis 1905, il transforme la ville, devient « Doudou » pour les Lyonnais et forge son identité politique en la situant au centre gauche de l’échiquier, en la valorisant dans l’espace national, en réconciliant les Lyonnais avec leur histoire, porteuse de nombreux drames depuis la Révolution française et en écartant les extrêmes, ce que j’appelle « la lyonnitude ».

Comment définiriez-vous l’héritage politique d’Édouard Herriot ? En quoi cet héritage mérite-t-il d’être connu aujourd’hui pour ceux qui s’intéressent à la politique ou s’y engagent ?

Herriot est aujourd’hui oublié, même à Lyon, même si une rue, un hôpital, un lycée et un port fluvial porte son nom. Au-delà de ce constat, son héritage est double :

À Lyon, l’herriotisme a servi de référence à l’élection municipale jusqu’aux élections de 2020 qui ont vu les écologistes gagner la mairie. Herriot a su réconcilier à Lyon l’Église (Fourvière), la Chambre de Commerce (Cordeliers) et la mairie (les Terreaux). C’est cette gestion du local qui lui a permis de rester 52 ans à la mairie, puisqu’il est mort en fonction en mars 1957. Je pense que l’herriotisme survivra aux é

Au niveau national, Herriot mérite qu’on s’intéresse à lui en tant que citoyen ou en tant que futur homme ou femme politique. Pourquoi ? Un homme engagé, dévoué à ses fonctions, un homme honnête, un vrai républicain et respectueux de la démocratie représentative à une époque où celle-ci est malmenée. Herriot est bien la République en personne.

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Edouard Herriot lors de l’inauguration de la foire de Lyon (mars 1916) © Archives de Lyon

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