Herriot urbaniste

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Article de Jean Étèvenaux, docteur en histoire, membre de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon


Natif de Troyes, Édouard Herriot arrive à Lyon en tant que professeur agrégé de lettres. Il y rencontre à la fois son épouse et sa vocation politique. À la tête de la mairie de Lyon pendant cinquante-deux ans, il mène une politique municipale ambitieuse et renouvelle profondément le paysage urbain.

L’hiver 1905 voit l’arrivée de celui qui incarnera Lyon pendant un demi-siècle, Édouard Herriot, même si le « maire inamovible » aura été remplacé par quatre magistrats provisoires entre 1940 et 1945. Ce qui va essentiellement rester de lui, ce sont les transformations de sa ville.

Un maire omniprésent

Dès 1912, une commission « inter-municipale », composée de personnalités diverses, met sur pied le premier « plan d’extension et d’embellissement de la ville de Lyon », d’où sort une synthèse en mai 1913. Au printemps 1917, Herriot se fait présenter « les projets d’avenues nouvelles ». Les réunions qui se tiennent jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale montrent la prépondérance de l’administration municipale : le maire préside les débats et les mène à sa guise.

Plus généralement, en ayant sans doute emprunté l’idée à Villeurbanne, Herriot pratique une sorte de socialisme municipal. Ainsi va-t-il intervenir dans de nombreux domaines, en dehors de tout ce qu’il aura réalisé pendant la Première Guerre mondiale pour l’approvisionnement, les femmes de soldats, les réfugiés, les prisonniers et les blessés. Déjà, lors de l’Exposition internationale de Lyon de 1914, il avait détaillé, selon ce qu’il écrira en 1948, sa « présentation des activités urbaines » :

« voirie ; extension rationnelle des villes ; problèmes des eaux ; assistance et hôpitaux ; alimentation ; sports et exercices physiques […] ; tourisme ; puériculture ; lutte antituberculeuse et antialcoolique ; hygiène du travail ; organisation matérielle de l’école ».

Cela explique que le plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension de la ville soit montré aux visiteurs des expositions de Gand et de Bombay en 1921 ou de New-York en 1939, toutes ces occasions devant manifester la modernité de la cité.

Tony Garnier : un architecte pour la ville

Concrètement, Lyon aura été modelée par Tony Garnier (1869-1948), déjà repéré par le maire Victor Augagneur (1855-1931) et suffisamment proche d’Herriot tout en étant différent pour que leur collaboration soit fructueuse. Bien qu’il n’ait pu réaliser tous ses projets, il reste l’architecte qui a façonné la ville jusqu’aux grands changements des années 1970. Durant ses 52 années de mandat, le maire aura construit les bâtiments de la Foire de Lyon, l’hôpital de Grange-Blanche qui porte son nom, les abattoirs et ce qu’on appelle aujourd’hui la Halle Tony Garnier, le stade de Gerland, le premier tunnel de la Croix-Rousse, le quartier des États-Unis, le port fluvial dénommé aussi d’après lui, des habitations à bon marché dont la cité des États-Unis, des maisons pour l’enfance, des écoles et des lycées, dont celui qui deviendra Édouard-Herriot, ainsi que des monuments aux morts et à diverses personnalités. Grâce à l’architecte, l’herriotisme n’aura pas été qu’une façon de gouverner au centre une grande ville.

Ensuite, après les atermoiements administratifs de l’époque de Vichy et de la Libération, Herriot va se replier, craignant une augmentation des dépenses et refusant que Paris lui dicte sa conduite, faisant même capituler Jean Meunier (1906-1975), le sous-secrétaire d’État aux Travaux publics et aux Transports, qui admet, le 17 janvier 1947, la seule compétence de la ville pour le « projet d’aménagement communal ».

Les années d’après-guerre : fin d’un règne absolu

Quelques années plus tard, en 1953, Félix Rollet (1905-2009) devient adjoint chargé des travaux : il se trouvera à l’origine des grands projets de la Duchère et de la Part-Dieu. Craignant l’incompétence des services municipaux, il fait pression sur Herriot. En 1956, un montage complexe associant la Ville, le ministère de la Reconstruction et du Logement et l’Atelier régional d’urbanisme va lancer les premières études sur la démographie, les réseaux, l’état du bâti et, plus généralement, tout ce qui relève de l’urbanisme. Cette véritable révolution copernicienne va à l’encontre de la défense des fonctions régaliennes face aux intrusions de l’État, culture jusque-là partagée par les élus, les techniciens et les administratifs de la Ville. Herriot lui-même disait que l’urbanisme était le nom pédant que l’on donnait à la voirie. On comprend les propos rétrospectifs fort critiques de Rollet :

« J’ai connu Édouard Herriot à la fin de son mandat. Je n’ai pas eu le sentiment qu’il avait une vision d’avenir pour Lyon. […] À la mairie, j’ai eu l’impression qu’on administrait la ville de Lyon encore comme avant la guerre de 1914/18. Les problèmes paraissaient simplement d’ordre administratif. Il fallait que ce soit bien fait, suivant les règlements, etc. On n’allait pas chercher une conception humaine des problèmes, c’est-à-dire penser à ceux qui habiteront la ville. »

Se posait pourtant les questions de l’extension des voies de communication, les nouveaux ensembles et le sort des habitats plus anciens. Après les bombardements de 1944, il fallait reconstruire et, en plus, accueillir d’autres habitants. Les successeurs d’Herriot s’y attèleront.

À lire :

ÉTÈVENAUX, Jean, Les Grandes Heures de Lyon, Paris, Perrin, 2019

BENOÎT, Bruno, « Herriot et l’herriotisme, rencontre entre un homme et une ville » dans B. Benoît (dir.), Édouard Herriot en quatre portraits, Presses Universitaires du Septentrion, 2020, (p. 33-40)

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Carte postale de l’entrée de l’hôpital Edouard-Herriot à Lyon © Coll. Bibliothèque municipale de Lyon

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