Comprendre l’importance de l’héritage d‘Esquirol

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Article de Michel CAIRE, psychiatre des hôpitaux, docteur en histoire, membre titulaire de la société médico-psychologique


 

Esquirol a joué un rôle essentiel dans de nombreux domaines de la médecine mentale, nosographique,  thérapeutique, institutionnel et architectural, législatif, médico-légal.

Des apports importants dans la classification des maladies mentales

Fidèle en cela à son maître, il défend le concept d’aliénation mentale comme entité morbide unitaire, relevant de la médecine et justiciable du traitement moral. Pour Pinel, il en existe quatre genres, la manie, la mélancolie, la démence et l’idiotisme. Esquirol démembre l’idiotisme en distinguant l’idiotie, insuffisance intellectuelle originaire et la démence aiguë qui annonce la confusion mentale. Surtout, il propose l’abandon de la mélancolie au profit du délire triste ou lypémanie et d’un cinquième genre, la monomanie, délire partiel caractérisé par une idée prévalente. L’apparition de la monomanie homicide, concept grâce auquel les criminels aliénés pourront être déclarés pénalement irresponsables, marque une étape importante dans l’histoire de la psychiatrie légale naissante.  

En outre, Esquirol redéfinit l’aire sémantique des termes hallucination et illusion. Ces évolutions sont développées dans de nombreuses publications, notamment dans le Dictionnaire des sciences médicales où il rédige quinze articles, dont douze republiés, révisés et actualisés dans le Traité de 1838.

Il cofonde la Revue médicale, les Archives générales de médecine, les Annales d’Hygiène Publique et de Médecine Légale et collabore au Journal général de médecine, à la Revue médicale française et étrangère qui publie ses mémoires lus à l’Académie de médecine. Plusieurs de ses expertises médico-légales sont reprises dans l’ouvrage de C.C.H. Marc, De la folie, 1840, ainsi que dans les Annales d’Hygiène.

La promotion du Traitement moral dans un cadre thérapeutique dédié

En matière de traitement des aliénés, Esquirol s’inscrit dans la droite ligne de Pinel et de la primauté du Traitement moral – par opposition au traitement physique, lui-même cependant non négligé. Le titre de sa thèse de doctorat soutenue le 28 décembre 1805 résume sa doctrine, aux plans étiologique, sémiologique, thérapeutique : Des Passions considérées comme Causes, Symptômes et Moyens curatifs de l’Aliénation mentale.

Esquirol et la plupart de ses successeurs estimaient que la condition de son traitement est l’isolement, la soustraction du malade à l’influence de son milieu habituel, le plus souvent par l’admission dans un établissement public ou privé. Avec lui, le cadre thérapeutique devient l’établissement spécial, tandis que Pinel admettait la possibilité d’une prise en charge dans un hôpital ou un hospice accueillant d’autres pathologies.

Et Esquirol propose de le baptiser du beau nom d’asile : « Je voudrais qu’on donnât à ces établissemens un nom spécifique qui n’offrît à l’esprit aucune idée pénible; je voudrais qu’on les nommât asile, ou qu’on leur imposât un nom propre. » (Des établissements…, 1819. Des maladies mentales…, 1838, II, 417-418).

Pour lui, « une maison d’aliénés est un instrument de guérison; entre les mains d’un médecin habile, c’est l’agent thérapeutique le plus puissant contre les maladies mentales. » [Des maladies mentales… 1838, II, p.398]. Mais  elle doit respecter certaines règles, dont le modèle est dessiné dès 1818 et développé en 1838, qui inspire la plupart des asiles construits jusqu’à la fin du siècle. Ces règles sont mises en application dans sa maison d’Ivry sur les plans de Huvé, architecte d’après ses indications, et à Charenton dont le projet de reconstruction totale est lancé dans les années 1830, avec Gilbert, architecte et Palluy directeur. Le quartier des hommes n’est achevé qu’en 1845, celui des femmes en 1886. L’établissement porte aujourd’hui son nom, dans lequel a été érigée en 1862 une statue en sa mémoire. Esquirol aura été, avec Guillaume Ferrus, le premier de ces fameux médecins habiles, qui ont « cultivé avec fruit cette branche de l’art de guérir » et y ont consacré toute leur activité, le premier aliéniste donc.

La protection et la défense des droits des aliénés

Esquirol est l’un des inspirateurs de la loi de 1838 sur les aliénés, qui assura « pour la première fois la garantie de leurs droits et celle de la conservation de leurs biens » [Postel 2001, p.181) et règlementera les hospitalisations psychiatriques sous contrainte jusqu’en 1990. Dans son Mémoire de 1818 et son Examen du projet de loi sur les aliénés en 1838, il s’était prononcé pour la création d’asiles régionaux répartis à travers la France, chacun desservant plusieurs départements et servant à la fois de maison de traitement et d’école d’instruction. La Loi retiendra le principe d’un asile par département, mais offrira la possibilité pour un département de traiter avec un établissement d’un autre département. Et elle reprendra plusieurs des propositions d’Esquirol, dont celle de la nomination des directeurs et des médecins des asiles par le ministre et de la participation des préfets à leur administration, et les dispositions protectrices des personnes et de leurs biens.

 

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