Combes et les congrégations

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Article de Christian Sorrel, professseur à l’université de Lyon 2


Le 1er juillet 1901, le Président du Conseil Pierre Waldeck-Rousseau fait adopter une loi sur le régime des associations « à but non lucratif », dite loi de 1901, dont le titre III soumet les congrégations religieuses à une demande d’autorisation légale. Dans une France agitée par l’affaire Dreyfus, cette loi joue le rôle de détonateur : succédant à Pierre Waldeck-Rousseau en 1902, Émile Combes, qui revendique un anticléricalisme radical, fait appliquer la loi de façon particulièrement rigoureuse, en particulier à l’encontre des congrégations enseignantes qu’il entend exclure totalement de la formation des futurs citoyens.

 

Lorsque Combes accède à la présidence du Conseil, la République est engagée dans une épreuve de force avec l’Église catholique. Dans cette perspective, il est un héritier et le Bloc des Gauches prolonge la politique de la Défense républicaine déployée par Waldeck-Rousseau dans le contexte de l’affaire Dreyfus. Dès la formation de son cabinet, il affiche une priorité, appliquer sans faiblesse le titre III de la loi du 1er juillet 1901 « sur le contrat d’association » qui vise les congrégations religieuses : « Le gouvernement tiendra la main à ce qu’aucune de ses dispositions ne soit frappée d’impuissance », déclare-t-il le 10 juin 1902. « Il n’y a pas d’apaisement légal possible […] avec des hommes qui demeurent rivés au système théocratique », précise-t-il deux jours plus tard.

Ces phrases suggèrent l’affirmation d’un anticléricalisme d’État aux couleurs de l’anticatholicisme. Sans doute prolonge-t-il une logique gallicane antérieure à la Révolution et réactualisée par les régimes politiques du XIXe siècle qui ont tous manifesté leur défiance à l’égard des congrégations, corps intermédiaires menaçants pour la puissance publique. Le cadre légal, avec son système contraignant d’autorisations et de mesures fiscales, en témoigne. Mais la lutte contre les congrégations procède aussi d’un refus idéologique. Avec leurs propriétés perpétuées par la mainmorte et leurs membres sacrifiant la raison au vœu, elles font figure de force de frappe d’une Église hostile à la modernité et influente par les œuvres. La menace rapproche les forces de gauche séparées par les options sociales et cimente le Bloc victorieux en 1902.

Les mesures se succèdent avec pour objectif le démantèlement des instituts et l’élimination de leur puissance scolaire, tout en concédant des accommodements dans le champ de l’assistance où la République n’est pas en mesure de remplacer le personnel congréganiste. Portée rétroactive donnée à la loi du 1er juillet 1901, révision de la procédure établie pour le traitement des demandes d’autorisation, fermeture des écoles par les préfets, refus d’examen des demandes d’autorisation déposées par les congrégations autorisées pour leurs établissements non autorisés, rejet par la Chambre des députés des demandes d’autorisation des congrégations non autorisées, aggravation des sanctions pénales contre les contrevenants, dissolutions, expulsions, poursuites contre les sécularisés, tout concourt à briser l’adversaire en assumant une violence légale : « C’est un combat sans merci, non entre des hommes, mais entre des principes », déclare Combes au banquet de Saintes le 23 août 1903.

À supposer que les personnes ne soient pas les cibles, elles sont les victimes, contraintes à abandonner leur vocation ou à s’exiler pour la vivre pleinement. Le refus de se disperser, la résistance des populations, localisée, mais qui tourne parfois à l’émeute, les protestations des évêques, des maires et des officiers appelés à exécuter les décrets de dissolution, l’agitation de la droite, les procédures judiciaires entretiennent la tension. Ils rendent peu audibles les voix discordantes qui s’interrogent sur l’identification de la violence combiste à la République et défendent la « liberté de l’erreur […], essence même de la liberté » (Gabriel Monod). Les débats parlementaires de juin 1903 ont plus d’écho, notamment le discours de Waldeck-Rousseau contre la transformation d’une « loi de contrôle en une loi d’exclusion » appliquée « à coups de pieds et de poings ». Ils ne freinent pas l’élaboration de l’étape suivante, l’interdiction de « l’enseignement [congréganiste] de tout ordre et de toute nature », d’autant que le pouvoir prend conscience de la transformation inattendue de l’école congréganiste en école libre avec des religieux sécularisés. Elle est acquise par la loi du 7 juillet 1904 qui exclut néanmoins le monopole scolaire de l’État revendiqué par une fraction de la majorité prête à imposer des dogmes laïques.

 

À lire :

Émile Combes, Une campagne laïque (1902-1903), Paris, H. Simonis Empis, 1904 et Mon ministère. Mémoires, 1902-1905, Paris, Plon, 1956

Christian Sorrel, La République contre les congrégations. Histoire d’une passion française 1899-1914, Paris, Cerf, 2003, 265 p. et Le catholicisme français de la Séparation à Vatican II. Un chemin d’histoire, Paris, Karthala, 2020, p. 13-57

 

À écouter sur Canal Académie :

Christian Sorrel, à propos de son ouvrage La République contre les congrégations. Histoire d’une passion française 1899-1914.

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