Chaptal publie Chimie appliquée à l’agriculture

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Par Bernard Meunier, membre de l’Académie des sciences


Jean-Antoine Claude Chaptal nait le 5 juin 1756 dans le hameau de Nojaret situé sur la commune de Vialas en Lozère, le Gévaudan à son époque, dans une famille aisée de propriétaires terriens. Après des études brillantes au collège de Mende, puis de Rodez, il s’engage dans des études médicales à l’Université de Montpellier sur les conseils d’un oncle médecin. Au cours de ses études, il rencontre Philippe Pinel, un des précurseurs de la psychiatrie, qui lui conseille la lecture d’Hippocrate, Plutarque et Montaigne et lui recommande de s’écarter de l’approche traditionnelle de la médecine, pour y instiller plus de rationalité.

Un héritier des Lumières

Notons qu’une très malheureuse expérience en salle d’anatomie lui fera abandonner définitivement le scalpel, l’enseignement de cette matière se faisant à l’époque directement sur des cadavres. Citons Chaptal : « Je me mis en devoir de le disséquer, mais, au premier coup de scalpel sur les cartilages qui lient les côtes au sternum, le cadavre porta la main droite sur le cœur, et agita faiblement la tête ; le scalpel me tomba des mains, et je m’enfuis de frayeur, et, depuis ce moment, j’ai abandonné l’étude de l’anatomie. »  Ceci ne l’empêcha pas de poursuivre brillamment ses études de médecine et de soutenir sa thèse, rédigée en latin, en novembre 1776, dans sa vingt-unième année. Sa thèse embrasse de manière très vaste les rapports entre la santé physique et mentale, en analysant les acquis de chaque individu de par sa naissance et ceux liés à l’instruction et l’éducation. Cet ouvrage bénéficiera de deux tirages pour dépasser un total de 2000 exemplaires, un fait sans précédent à la Faculté de médecine de Montpellier.

Le jeune docteur décide ensuite de passer trois ans à Paris pour compléter ses connaissances médicales. Il en profite pour fréquenter le monde des arts et rédige trois comédies. Peu sûr de lui-même comme auteur, il préfère alors se lancer dans l’étude de la chimie sous la direction de Jean-Baptiste Bucquet, professeur de chimie à la Faculté de médecine ayant collaboré avec Antoine Lavoisier. Fort de cette formation, Chaptal revient à l’Université de Montpellier pour occuper la chaire de chimie nouvellement créée en avril 1781.

Chimie et industrie

Son enseignement s’inscrit dans les pas de Lavoisier, Antoine-François Fourcroy, Louis-Bernard Guyton de Morveau et Claude-Louis Berthollet, participant ainsi à la création de la chimie raisonnée. Son cours de chimie porte sur des aspects fondamentaux comme la composition de l’air, mais aussi sur des applications comme la préparation des étoffes pour fixer les teintures et la purification du salpêtre pour la préparation des poudres. Il est très favorable aux idées révolutionnaires comme il l’indique dans une lettre datée du 2 octobre 1879 : « La révolution qui s’effectue est une belle chose ; mais je voudrais qu’elle fût arrivée il y a vingt ans. …. Le clergé et la haute noblesse sont déchus de leurs prétentions, l’égalité primitive est rétablie ; la vertu, le talent, feront seuls les distinctions ; le pauvre cultivateur respirera enfin, et l’homme le plus utile sera le plus considéré ». Par la suite, son penchant pour le fédéralisme lui vaudra d’être interné, puis libéré.

En décembre 1793, sur appel de Carnot, Chaptal va être en charge de la direction de la fabrication des poudres (cette charge avait été occupée par Lavoisier qui venait d’être arrêté). Il va rationaliser la préparation de la poudre à canon, établissant à Saint-Germain-des-Prés une raffinerie de salpêtre et une usine à Grenelle pour la fabrication de la poudre. Cette organisation permit de produire six millions de livres de poudre en onze mois et d’expédier tous les deux jours dix-huit chariots pour livrer les armées aux frontières. Il est nommé professeur à l’École Polytechnique, juste après sa création en mars 1794, avec Berthollet et Vauquelin, y fixant ainsi les bases d’un enseignement de la chimie au plus haut niveau. Après un retour à l’Université de Montpellier, où il enseigne à nouveau pendant trois ans, il revient s’établir à Paris pour poursuivre ses recherches en chimie et créer une usine de produits chimiques à Ternes, près de la barrière d’octroi du Roule (à l’époque, le hameau des Ternes est à l’extérieur de l’enceinte des Fermiers généraux). Les travaux de Chaptal vont permettre la production industrielle de l’alun, des acides sulfurique, nitrique et muriatique (ancien nom de l’acide chlorhydrique).

Chaptal ministre de Napoléon

Prenant la suite de Condorcet, Chaptal sera l’auteur d’un rapport remarqué sur l’instruction publique qui conduira Bonaparte à mettre en place les lycées d’État et les universités. Cette activité lui vaut sa nomination de ministre de l’Intérieur, en charge non seulement de l’instruction publique, mais aussi des manufactures, du commerce et des beaux-arts, un périmètre ministériel très différent de celui que nous connaissons aujourd’hui pour le ministère du même nom. Son action de ministre sera focalisée sur l’instruction publique et l’industrie, sans oublier les beaux-arts. Il signe un arrêté pour la création de musées dans les provinces. D’un côté, il œuvre pour les universités et les écoles d’ingénieurs, il est à l’origine de celle des arts et métiers et il rénove le Museum de Buffon, et de l’autre il s’active pour le développement des manufactures pour assurer une indépendance industrielle à la France, à un moment où la maîtrise des mers était le fait de l’Angleterre, bloquant ainsi les importations. Chaptal sera à l’origine du développement de la culture de la betterave sucrière et de son utilisation intensive. Il cesse ses fonctions ministérielles en 1804, avant le sacre de Napoléon, à qui il restera fidèle, y compris après les cent-jours, ce qui lui vaudra une mise à l’écart lors de la Restauration. Il profitera de cette période pour écrire « L’Industrie française », témoignage sur activité ministérielle dans ce domaine.

Chimie appliquée à l’agriculture, 1823

L’année 1823 est celle de la publication de l’ouvrage majeur de Chaptal : Chimie appliquée à l’agriculture. Sans chercher à faire l’historique détaillé des ouvrages sur l’agriculture, le traité de Chaptal apporte le regard d’un scientifique, instruit par le siècle des Lumières, pionnier de la chimie moderne, celle inventée dans le sillage de Lavoisier. C’est le premier ouvrage capable de rivaliser avec celui d’Olivier de Serres, Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, écrit deux siècles plutôt. Il est intéressant de noter qu’une des dernières rééditions de cet ouvrage monumental a été faite en 1804, juste cinq ans avant l’apparition du livre de Chaptal, indiquant ainsi que rien n’était venu détrôner l’œuvre d’un des pères de l’agronomie.

En Angleterre, seul l’ouvrage de Humphy Davy publié en 1813, Elements of agricultural chemistry in a course of lectures for the board of agriculture, peut être considéré comme une transition, dont l’essentiel porte sur l’organisation des végétaux et les cultures, un peu à la manière de Serres. Dans le cas de Chaptal, c’est un ouvrage de rupture avec la volonté d’appliquer les connaissances nouvellement acquises dans les sciences physiques à l’agriculture. Chaptal est conscient que les connaissances sur les végétaux sont en devenir sans toutefois que celles-ci ne viennent empêcher l’application des avancées dans le domaine de la chimie et de la physique. Ceci est clairement exprimé à la fin du préliminaire du premier tome : « Jusqu’ici les applications des sciences physiques à l’agriculture ont été peu nombreuses si on les compare à celles qu’on a faites à plusieurs arts qu’elles ont été créés ou perfectionnés de nos jours : cette différence me paraît pouvoir être rapportée à deux causes principales : la première, c’est que la plupart des phénomènes que nous offre l’agriculture sont des effets des lois vitales qui régissent les fonctions du végétal, et ces lois nous sont encore inconnues ; tandis que dans les arts qui s’exercent sur la matière brute et inanimée, tout se règle, tout se produit par l’action seule des lois physiques ou de simple affinité que nous connaissons ; la seconde, c’est que pour appliquer utilement les connaissances physiques à l’agriculture, il faut l’avoir profondément étudiée, non-seulement dans les cabinets, mais encore dans les champs ».

Chaptal n’attend pas que tout soit résolu pour aller de l’avant, c’est un précurseur capable de se risquer sur des domaines inconnus scientifiques. Sa démarche est celle d’une « recherche de rupture » pour reprendre les éléments de langage actuel des appels à projets. Par ailleurs, Chaptal n’hésite pas à rappeler que toutes les recherches, aussi fondamentales soient-elles, doivent se faire sans perdre le contact avec la réalité du terrain ! La fin de la vie de Chaptal sera difficile. Il va prendre en charge les dettes de son fils, mauvais gestionnaire des usines qu’il lui avait léguées. Cela le conduira en particulier à vendre son château de Chanteloup en Indre-et-Loire à un démolisseur qui le débitera en moins de huit semaines. Il décède dans la pauvreté le 29 juillet 1832 à Paris et est inhumé au cimetière du Père-Lachaise.

À lire :

A. CHAPTAL,

Mes souvenirs sur Napoléon, Plon, Paris, p. 17 (1893). Les 112 premières pages de ce document, rédigé par son arrière-petit-fils A. Chaptal, sont des notes d’autobiographie laissées par son ancêtre et représentent de fait la meilleure source d’information sur la vie de Chaptal.

L’art de faire le vin. Chez Deterville, Paris (1807). Sur Gallica : L’Art de faire le vin, par M. J.-A. Chaptal,… | Gallica (bnf.fr)

L’art de la teinture du coton en rouge. Annuaire de Chimie, tome LXII (1807). Texte analysé par Joseph-Louis Gay-Lussac. Sur Gallica : L’art de la teinture du coton en rouge , par M. J.-A. Chaptal,… | Gallica (bnf.fr)

De l’Industrie française. Deux tomes, chez Antoine-Augustin Renouard, Paris (1819) Sur Gallica : De l’industrie françoise ([Reprod.]) / par M. le comte Chaptal,… | Gallica (bnf.fr)

Chimie appliquée à l’agriculture. Deux tomes, Mme Huzard Imprimeur-Libraire, Paris (deux éditions, 1823 et 1829). Sur Gallica : Chimie appliquée à l’agriculture. Tome 1 / par M. le comte Chaptal,… | Gallica (bnf.fr)

Crédits images :

Bannière de la page d’accueil : Labourage nivernais tableau de Rosa Bonheur 1849 © Wikimedia Commons / Musée d’Orsay

Illustration du chapô : Portrait de Jean-Antoine Chaptal (1756-1832), chimiste et homme politique par Jean-Louis-Gabriel Bouchet © Wikimedia Commons / Musée Carnavalet 

Bannière de l’article : Gravure extraite du journal d’agriculture pratique, de jardinage et d’économie domestique, 1er janvier 1854, librairie de la Maison rustique du XIXe siècle (Paris)© Gallica / BNF 

 

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