Chapitre 2 : Michel de Montaigne, hôte d’Henri de Navarre

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Article d’Anne-Marie Cocula, présidente honoraire de l’Université Bordeaux-Montaigne


Par deux fois, Michel de Montaigne a reçu Henri de Navarre chez lui, dans le Périgord : en 1584 d’abord, de façon presque officielle, alors que Montaigne terminait son second mandat comme maire de Bordeaux ; en 1587 ensuite, après la victoire militaire du roi de Navarre contre les troupes d’Henri III, dans un contexte bien plus délicat vis-à-vis du pouvoir royal.

Henri de Navarre et Montaigne ne se sont pas contentés de correspondre puisque, par deux fois, le Béarnais a rendu visite à Montaigne et séjourné ou dîné chez lui. Insigne privilège au regard de la distance sociale qui les sépare ! La première entrevue s’est déroulée à la fin décembre 1584 : elle est amplement décrite dans les éphémérides de l’agenda du Beuther, livre de raison des Eyquem. La seconde, en date du 23 octobre 1587, est indiquée dans le registre comptable de la maison du roi de Navarre. Montaigne ne l’a jamais signalée. Sans doute par prudence, car ces deux rencontres séparées de moins de trois années sont bien différentes l’une de l’autre.

Celle de 1584 est contemporaine de la fin du second mandat de Montaigne comme maire de Bordeaux : élu par la Jurade en 1581, sans s’être porté candidat, il a pris goût à ses fonctions et obtenu sa réélection en 1583. L’entrevue de 1584 correspond au moment où Henri III de Navarre, gouverneur de la province de Guyenne depuis 1576, se trouve sous la menace directe d’une ligue militaire forgée par les partisans du duc de Guise et les représentants du roi d’Espagne, Philippe II, soutien financier de la Réforme catholique issue du concile de Trente achevé en 1563. La réception quasi-officielle d’Henri de Navarre et des grands personnages de son entourage, pour la plupart protestants, a reçu l’assentiment du maréchal de Matignon, lieutenant général du roi Henri III en Guyenne.

Réputé pour sa fidélité monarchique, ses qualités d’homme de guerre et sa volonté de ménager Henri de Navarre, son supérieur hiérarchique en Guyenne, le maréchal de Matignon a chargé Montaigne de la surveillance rapprochée des incartades du chef du parti protestant, désormais prétendant au trône de France à la suite du décès, en juin 1584, du dernier frère du roi Henri III. Aucune autre source, à part l’éphéméride de Montaigne, ne fait mention de cette entrevue, importante pour un proche avenir et marquée par la fierté du maître de céans sensible à la confiance de ses hôtes : Henri de Navarre n’a pas voulu que l’on goûte aux mets qui lui étaient servis et qui auraient pu être empoisonnés. Et il a accepté l’offre de coucher dans le lit de Montaigne.

En octobre 1587, les circonstances sont exceptionnelles puisque Henri de Navarre, à la tête de troupes protestantes aguerries, a mis en déroute l’armée royale commandée par le duc de Joyeuse, le favori d’Henri III. La victoire quasi-miraculeuse du Béarnais, qui s’est déroulée dans le bourg de Coutras, le 20 octobre 1587, fait de lui l’adversaire du roi et peut lui ôter toute chance de lui succéder s’il tire profit de son succès militaire. Situation éminemment périlleuse que le vainqueur atténue par le repli de son armée et par son retour chez lui, en Béarn. Entre-temps il s’est entretenu avec Montaigne, le temps d’un dîner. Rien n’a transpiré de leurs projets mais ce sont eux, quelques mois plus tard, qui donnent à Montaigne l’occasion de tenter une médiation, à Paris, entre le roi de France et le roi de Navarre, tous deux confrontés à l’offensive politique et militaire des ligueurs qui se sont rendus maîtres de Paris en mai 1588 et ont provoqué le départ d’Henri III et son installation à Rouen où Montaigne le rejoint au début de l’été.

À lire :

Anne-Marie Cocula et Alain Legros, Montaigne aux champs, Bordeaux, Éditions Sud-Ouest, 2011.

Anne-Marie Cocula, Montaigne 1588, L’aube d’une révolution, Éditions Fanlac, 2021.

Crédits photos : 

Illustration de l’article :Henri IV, roi de France, Frans Pourbus le Jeune, 1610 © Wikicommons

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