Canonisation de Bernard de Clairvaux

RETOUR AU DOSSIER

Par Alain Rauwel, professeur d’histoire du Moyen-Âge à l’université de Bourgogne


La renommée européenne de l’abbé Bernard de Clairvaux, son autorité morale dans toutes les tribulations de l’Église latine, ses succès de fondateur, son prestige de maître spirituel, faisaient considérer sa canonisation comme probable, sinon comme évidente. Tel était l’avis des disciples immédiats de l’abbé, au point qu’ils entreprirent la rédaction d’une vita avant même qu’il eût rendu l’esprit, à Clairvaux, le 20 août 1153. Pourtant, l’acte solennel par lequel le pape Alexandre III porta Bernard sur les autels se fit attendre plus de vingt ans. Ce délai, qui semblerait aux modernes le résultat d’une sage lenteur dans l’investigation, ne s’imposait pas au XIIe siècle. Il oblige à examiner de près les circonstances d’une canonisation plus chaotique que prévu.

Un contexte défavorable

Il est probable que, si le cistercien Bernardo Paganelli, pape sous le nom d’Eugène III, n’avait précédé de peu dans la mort son mentor, Bernard aurait obtenu très vite les honneurs de la sainteté. Sans être défavorable, la configuration postérieure à 1153 n’était pas idyllique. L’unité des cisterciens n’était que de façade. Bernard avait agi en tant qu’abbé de Clairvaux, et pour la gloire de Clairvaux, infiniment plus que pour un « ordre » dont l’identité et l’autorité étaient de son vivant fort chancelantes ; il en résultait, à l’intérieur du chapitre général, des désaccords qui rendaient difficile un front commun à Rome. De plus, les dernières années d’activité de Bernard n’avaient pas fait l’unanimité. Son engagement farouche en faveur de la croisade n’avait pu empêcher la parfaite inutilité de l’expédition (1148-1149) : n’était-ce pas un signe de défaveur divine ? Enfin, comme l’a signalé A. Bredero, les attitudes divergentes des cisterciens dans l’affrontement entre Thomas Beckett et le roi d’Angleterre ne contribuaient pas à clarifier la situation.

L’évolution des pratiques et le rôle de la papauté

Même s’il faut faire la part d’une évolution de la pratique curiale en matière de canonisations, qui ne permettait plus les proclamations au débotté, c’est vraisemblablement une excuse un peu convenue que présenta Alexandre III lorsque, sollicité à l’occasion de son voyage en France de 1163, il répondit que le trop grand nombre de demandes l’empêchait de traiter immédiatement le cas de Bernard. C’est seulement au début des années 1170 que, les questions de personnes étant un peu apaisées dans l’ordre, les perspectives devinrent plus sereines. Les abbés cisterciens, les évêques du royaume, Louis VII, unirent leurs voix pour demander à nouveau l’élévation de l’abbé (en même temps que celle de l’archevêque irlandais Malachie, proche ami de Bernard, inhumé lui aussi à Clairvaux). Un petit groupe de frères fut envoyé à Rome à cette fin, exemple précoce de « postulation » d’une cause. Thomas Beckett, fort de sa qualité de martyr, passa le premier. Sa canonisation proclamée en février 1173, rien ne s’opposait plus à celle de Bernard.

Émergence et postérité du culte de saint Bernard

Elle eut lieu le 18 janvier 1174, non par une cérémonie mais par l’envoi de quatre lettres pontificales, adressées à toute l’Église des Gaules, au roi, aux abbés de l’ordre et spécifiquement à la communauté de Clairvaux. En cette abbaye, le P. Dimier a relevé que l’officialisation du culte de Bernard correspond à la consécration par l’évêque de Langres du nouveau sanctuaire de l’église abbatiale (dit « Clairvaux III »). Avec son déambulatoire et ses chapelles rayonnantes, l’édifice était évidemment plus propre au culte des corps saints que l’église antérieure à chevet plat. Il fallut toutefois attendre 1202 pour que les religieux obtiennent d’Innocent III un office propre de saint Bernard qui se trouvait ainsi, un demi-siècle après sa mort, doté de toutes les marques de la vénération liturgique – une vénération qui a survécu à la destruction des lieux qu’il avait connus et du système qu’il avait illustré, et qui se poursuit bien au-delà des monastères qui se réclament de sa paternité.                                                                                                                                         

À lire :

A. Bredero, « S. Bernard : les débuts de son culte dans l’ordre cistercien et l’itinéraire de sa canonisation », dans Id., Bernard de Clairvaux : culte et histoire, Turnhout, Brepols, 1999, p. 23-59

A. Bredero, « Thomas Beckett et la canonisation de s. Bernard », dans R. Foreville (dir.), Thomas Beckett, Paris, 1975, p. 55-62

A. Dimier, « En marge du centenaire bernardin : l’église de Clairvaux », Cîteaux / Commentarii cistercienses, 1974, p. 309-314.

 

 

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil : Saint Bernard de Clairvaux, Jean Morin, 17e siècle © Met Museum

Illustration du chapô : Bernard de Clairvaux, enluminure, vers 1267-76 © Wikimedia Commons

Illustration de l’article : Scène de la vie de Saint Bernard, Autrice, 1500 © Wikimedia Commons

Illustration de bas de page : Statue de Saint Bernard, première moitié du XVe siècle © Département de l’Aube ®

Print Friendly, PDF & Email
Retour en haut