Alice Milliat, ou les Jeux Olympiques au féminin

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Article de Florys Castan-Vicente, maîtresse de conférences à l'université Paris-Saclay, chercheuse associée au Centre d'Histoire Sociale des mondes contemporains, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne


Exclues des Jeux Olympiques de 1924, les sportives des années 1920 sont pourtant nombreuses et organisées. C’est pour elles qu’Alice Milliat, à la tête de la Fédération sportive féminine internationale, organise en 1922 les Jeux Olympiques féminins à Paris, qui concurrencent ouvertement les jeux de 1924.

Les Jeux Olympiques de Paris 2024 se présentent comme les premiers réellement paritaires (ce qui reste à prouver), et comme l’étape finale d’une longue et difficile ouverture du CIO aux sportives. L’histoire retient généralement la date de 1928 comme marquant la première participation des femmes aux Jeux olympiques à Amsterdam. Il s’agit en réalité de leur première participation en athlétisme, leur admission datant en réalité des JO de 1900 à Paris (certes alors en petit nombre et dans des catégories d’activités très restreintes).

Le succès des fédérations sportives féminines

Alice Milliat (1884-1957) est une personnalité majeure de l’histoire des sportives dans les années de l’entre-deux-guerres, en France comme à l’international. Dans le contexte de la Première Guerre mondiale, le sport se développe pour les femmes en France, en particulier à Paris et dans les grandes villes, dans les stades délaissés par les soldats partis au front. Après la guerre, les sportives s’organisent en fédération autonome, contournant les interdits des fédérations masculines : la Fédération des sociétés féminines sportives de France (FSFSF) est dirigée par Alice Milliat à partir de 1919. Elle permet notamment la pratique de l’athlétisme et des sports collectifs (football, basketball, rugby renommé barette…) y compris en compétition. En effet, les femmes sont alors exclues des fédérations correspondantes, et ne pouvaient donc pas prétendre à prendre part à des compétitions nationales. Tout cela change avec la FSFSF d’Alice Milliat, permettant aux Françaises de s’affronter sous l’égide d’une fédération officielle et d’inscrire leurs noms dans les registres des records nationaux. Elles voyagent également : dans l’immédiate après-guerre, le sport est un outil diplomatique permettant d’affirmer les liens entre membres de l’Entente. Une première « équipe de France » de footballeuses traverse la Manche en 1920 afin d’affronter plusieurs équipes britanniques, sillonnant le pays dans un camion décoré d’une banderole « Vive l’Entente ». Suite aux succès de différentes rencontres nationales et internationales, Milliat décrète que la création d’une fédération internationale est désormais nécessaire pour répondre au développement rapide des compétitions sportives pour les femmes. En effet, là aussi, les fédérations internationales refusent de s’ouvrir, et le CIO de Pierre de Coubertin se saurait concevoir la parité dans ce domaine.

Les premiers Jeux Olympiques Féminins

La création de la Fédération sportive féminine internationale (FSFI) en 1921 est alors accompagnée de « sourires ironiques » de la part de ses détracteurs. Néanmoins, le mouvement est lancé. Milliat prend la tête de la FSFI et organise en 1922 des « Jeux Olympiques Féminins » à Paris, sur le modèle des jeux du CIO, mais leur faisant concurrence. Ces premiers Jeux rassemblent la France, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Tchécoslovaquie (l’Allemagne étant alors bannie des compétitions internationales). Comme le souligne Milliat elle-même, la France se trouve alors à « l’avant-garde » du mouvement des sportives. Les Jeux Olympiques féminins connaissent ainsi quatre éditions. Ils se déroulent en 1926 à Göteborg, en 1930 à Prague et en 1934 à Londres, rassemblant des participantes et un public de plus en plus nombreux. Le nombre de pays membres de la FSFI ne cesse de croître, et permet la création d’équivalents de la FSFSF dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne où la WAAA (Women’s Amateur Athletic Association) poursuit son existence jusqu’en 1991.

La disparition des femmes dans les compétitions sportives

Néanmoins, les années 1930 voient apparaître des raidissements idéologiques face au développement autonome des sportives, dans un contexte de fascisme grandissant en Europe. L’alliance des représentants nazis du sport, du CIO et de l’IAAF (International amateur athletics federation) vient ainsi à bout de la « fédération Milliat » en 1936, dans le contexte des « Jeux nazis » de Berlin, décrétant unilatéralement son assimilation pure et simple par la fédération masculine. Le sport pour les femmes (notamment les sports collectifs et la compétition) régresse alors de manière importante et durable : on ne retrouve pas d’équipe de France de footballeuses avant 1975. Alice Milliat abandonne toute carrière, nationale ou internationale, et sa mémoire reste marginale à l’exception d’une volonté politique de l’afficher désormais aux côtés de Pierre de Coubertin au CNOSF (Comité national olympique et sportif français), où une statue lui rend hommage.

À lire :

Florence Carpentier, « Alice Milliat et le premier “sport féminin” dans l’entre-deux-guerres », 20 & 21. Revue d’histoire, vol. 2, n° 142, 2019.

En ligne : https://www.cairn.info/revue-vingt-et-vingt-et-un-revue-d-histoire-2019-2-page-93.htm?ref=doi

Florys Castan-Vicente, Anaïs Bohuon, et al. « Les pionnières françaises du sport international des femmes : Alice Milliat et Marie-Thérèse Eyquem, entre tutelle médicale et non-mixité militante ? », Staps, vol. 125, no. 3, 2019.

En ligne : https://www.cairn.info/revue-staps-2019-3-page-31.htm

Florys Castan-Vicente, Les Années Milliat. Sports et féminismes dans l’entre-deux-guerres, PUR. A paraître en 2024.

Crédits photos : Mme Milliat [aviron]  Agence Rol. Agence photographique 1920 © Gallica/BNF 

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