6/7 Montaigne : « Quand je danse, je danse »

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Un passage des Essais, lu et commenté par Alain Legros


En 1578, Montaigne comprend qu’il est atteint de la gravelle, une maladie des reins qui a déjà emporté son père. L’attitude qu’il adopte alors, dans les dernières années de sa vie, consiste à rester en prise avec l’instant. Dans « De l’expérience », dernier chapitre des Essais, Montaigne nous renseigne sur cet art du « vivre à propos ».

 

« Quand je danse, je danse. Quand je dors, je dors. Et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues d’occurrences étrangères quelque partie du temps, quelque autre partie je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude, et à moi. Nature a maternellement observé cela, que les actions qu’elle nous a enjointes pour notre besoin nous soient aussi voluptueuses. Elle nous y convie non seulement par la raison, mais aussi par l’appétit : c’est injustice de corrompre ses règles. Nous sommes de grands fous. « Il a passé sa vie en oisiveté », disons-nous, je n’ai rien fait d’aujourd’hui ! » – Quoi ? Avez-vous pas vécu ? C’est non seulement la fondamentale, mais la plus illustre [éclatante] de vos occupations. « Si on m’eût mis au propre de grands maniements, j’eusse montré ce que je savais faire ! » – Avez-vous su méditer et manier [gouverner] votre vie ? Vous avez fait la plus grande besogne de toutes. […] Avez-vous su composer [régler] vos mœurs ? Vous avez bien plus fait que celui qui a composé des livres. Avez-vous su prendre du repos ? Vous avez plus fait que celui qui a pris des empires et des villes. Le glorieux chef-d’œuvre de l’homme, c’est vivre à propos. »

Montaigne, Les Essais, éd. J. Céard, ouvrage cité, III, 13, « De l’expérience », p. 1726-1727.

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Illustration de l’article : Le Printemps, Botticelli, 1478 à 1482 © Wikicommons

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