5 juillet 2023 : Le dernier vol d’Ariane 5
RETOUR AU DOSSIERArticle de Nathalie Tinjod, chef du Projet Histoire, Département des affaires européennes et extérieures, Agence spatiale européenne
Le 5 juillet 2023, Ariane 5 s’envolait pour la dernière fois du port spatial de l’Europe, emportant à son bord les satellites de télécommunications Syracuse 4B, réalisé conjointement par Thales Alenia Space et Airbus pour le compte du ministère des Armées français, et Heinrich-Hertz, majoritairement développé et fabriqué par OHB System pour celui du gouvernement allemand. La puissance de la fusée au décollage, équivalente à 10 Airbus A380 lancés à pleine vitesse, sa signature acoustique reconnaissable entre toutes, auront marqué les esprits et conquis les cœurs, en dépit des revers essuyés initialement, et à défaut de dominer durablement le marché commercial des services de lancements.
Cet ultime lancement double, à haute valeur symbolique car au profit des deux premiers contributeurs au programme qui en comprend une douzaine, dont l’Italie, la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse, a suscité une vive émotion au sein des équipes des agences spatiales française (CNES), allemande (DLR) et européenne (ESA), comme d’ArianeGroup. Détenu à part égales par Airbus et Safran, le groupe emploie plus de 8000 personnes hautement qualifiées en France et en Allemagne. Il est à la tête d’un réseau de plus de 600 sociétés, dont 350 PMEs.
En digne successeur d’Ariane 4 (1988-2003, 116 vols), le lanceur lourd européen Ariane 5 (1996-2023, 117 vols) entrait ce jour-là dans les annales, avec une fiabilité héritée de son prédécesseur, tandis qu’Ariane 6 en phase de test s’apprêtait à prendre le relais, au bénéfice des missions institutionnelles de l’Europe et pour répondre aux besoins d’un marché commercial en forte croissance. Lors de son 100ème vol en 2018, Ariane 5 avait atteint un taux de fiabilité remarquable de 98,1%.
Il était prévu au début de la conception d’Ariane 5 qu’elle puisse mettre en orbite l’avion spatial Hermes. Ce projet n’a pas survécu aux tumultes géopolitiques et aux contraintes économiques du début des années 1990. Les nombreuses modifications apportées dans la phase de pré-développement, notamment après l’accident de la navette américaine Challenger, l’effondrement de l’Union soviétique, la décision de participer à la Station spatiale internationale et au programme Euro-Mir ont rendu Hermes superflu dans le contexte qui prévalait alors. La nouvelle donne invite aujourd’hui les Etats membres de l’ESA à reconsidérer l’hypothèse d’une autonomie dans le domaine des vols habités.
Au moment de tirer sa révérence, Ariane 5 aura déployé près de 240 satellites, servant 65 clients originaires de 30 pays différents. Ce lancement boucle également la carrière exceptionnelle du moteur HM7 de l’étage supérieur cryogénique. Initialement développé par la Société européenne de propulsion, il équipait déjà la première Ariane. Il sera remplacé sur Ariane 6 par le moteur réallumable Vinci. Il s’agit également du 91ème et dernier lancement consécutif avec fonctionnement nominal du moteur de l’étage principal Vulcain 2. Ariane 5 a en effet connu plusieurs configurations (générique : G et G+ et ES : équipée d’un étage supérieur réallumable à propergol stockable ou EPS ; ECA : équipée avec le moteur Vulcain 2 et un nouvel étage supérieur cryotechnique A). Si l’on ajoute les 27 tirs de Soyouz réalisés entre 2011 et 2022 et les 22 vols Vega intervenus depuis 2012 dans le cadre de la famille européenne des lanceurs élargie, 347 lancements ont été opérés par Arianespace depuis Kourou à ce jour, avec à bord plus de 1150 satellites.
La charge la plus lourde mise en orbite par Ariane 5 est l’un des cinq modèles de cargo spatial européen ATV (Georges Lemaître) vaisseau spatial le plus complexe jamais produit en Europe de 20 060 kg, destiné à ravitailler l’ISS (VA219, lancé en 2014). Le satellite Envisat de 8 200 kg, placé sur une orbite héliosynchrone (800 km d’altitude) en 2002 (VA145), est le plus gros satellite d’observation lancé par Ariane 5. Alphasat a été le plus grand satellite de télécommunications d’Europe, lancé en 2013 (VA214). En 2009, Ariane 5 détenait plus de 60 % du marché mondial des lancements des satellites commerciaux en orbite géostationnaire avant de subir la concurrence de lanceurs moins couteux et partiellement réutilisable, tandis que le segment de marché pour lequel il est optimisé tendait à se réduire. L’ESA décide donc de le remplacer par le lanceur Ariane 6 aux capacités similaires mais conçu pour être plus modulaire et disponible à un prix moins élevé.
Crédits Images :
Illustration de l’article : L’ATV-5 approchant de la station © Roscosmos – O. Artemyev