Naviguer dans la tourmente (1939-1945)

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Entretien écrit avec Jérôme Henning, professeur en histoire du droit à l’Université Toulouse I-Capitole


Édouard Herriot, qui a fait le choix d’une « résistance légale » aussi ambiguë dans la forme qu’inefficace dans le fond, aura été malgré tout l’un des rares officiels à ne pas s’être compromis avec le régime de Vichy. Désavoué par une partie de l’opinion à la libération, ardent défenseur d’une République disparue, sa présence politique se fera plus discrète dans les années 50.

  • Quel rôle Herriot joue-t-il au moment de la déclaration de guerre ?

Lorsque la guerre est déclarée, le 3 septembre 1939, Herriot ne joue plus un rôle de premier plan. Depuis 1936, il est Président de la Chambre des députés, poste qui lui offre le confort de se tenir au centre de la vie politique tout en pouvant s’écarter des affaires. De plus, la présidence du Conseil occupée par Daladier l’exclut des affaires décisionnelles. Les deux hommes appartenant au Parti radical se complaisent dans un conflit et une rancune tenaces. Pour ces deux raisons, on ignore quelle a été la position exacte d’Herriot vis-à-vis des accords de Munich, mais quelques indices semblent indiquer qu’il était sceptique quant à l’emploi de la voie diplomatique. Au fond, en 1939, il ne reste à Herriot que la position du sage en République qu’il affectionne. À ce titre, il occupe la fonction de Président du comité d’organisation des 150 ans de la Révolution de 1789. Il oriente alors les commémorations pour dénoncer la politique nazie, voyant dans le conflit qui se prépare un combat civilisationnel.

  • Quelle est la position d’Herriot face au régime de Vichy ?

Après la débâcle de mai 1940, Édouard Herriot entre dans une phase active de sa vie politique. Tout au long du mois de juin, comme Président de la Chambre il est en lien permanent avec le Président de la République Lebrun, le président du Conseil Reynaud et le Président du Sénat Jeanneney. Le remplacement de Reynaud par Pétain isole alors Herriot qui s’était opposé à la nomination du maréchal. Incapable de proposer une alternative, il se range finalement dans une attitude ambiguë soutenant le gouvernement Pétain le 9 juillet mais refusant de voter les pleins pouvoirs le 10. Jusqu’en 1942, il entre dans une phase de « résistance légale » à l’efficacité très limitée. Son idée, partagée avec le Président du Sénat, est d’infléchir la politique gouvernementale en usant de sa position institutionnelle. Herriot ne soutient pas le régime de Vichy et dénonce publiquement la plupart de ses décisions. Toutefois, il n’entre pas dans une opposition franche et résolue. Son opposition agace tout de même le régime qui le place en résidence surveillée en 1942, puis la Gestapo le place en détention jusqu’en août 1944 où il sera transféré en Allemagne.

  • Herriot a-t-il été lié à la résistance ?

C’est une des questions les plus difficiles. Lui-même a affirmé être un lien permanent avec plusieurs groupes de résistance de la région lyonnaise, mais on ne dispose pas de preuves. Un faisceau d’indices montre qu’il était en lien avec plusieurs groupes de résistance comme le réseau Brutus ou Le coq enchaîné auxquels il apportait un soutien moral sans pour autant entrer lui-même en résistance. La plupart de ses proches en politique sont des résistants actifs à l’instar de Justin Godart, Alfred Jules-Julien, Joseph Serlin ou Paul Bastid. On sait également qu’à plusieurs reprises des résistants sont entrés en contact étroit avec lui pour l’exfiltrer vers les États-Unis, chose qu’il a toujours refusé en considérant qu’un responsable politique ne pouvait fuir. Ce qui est certain c’est qu’il se tient éloigné de la France Libre. Entre 1940 et 1942, Herriot reçoit secrètement plusieurs représentants de De Gaule mais refuse toujours de donner son soutien au général.

  • À la libération, comment se passe le retour d’Herriot sur la scène politique ?

En 1944, Édouard Herriot est très affaibli psychologiquement. Au mois d’août 1944, Laval tente un dernier coup impliquant Herriot qui se trouve alors pour quelques jours libéré et transféré à Paris. Laval et les Allemands voulaient procéder à un rétablissement de la République pour sauver les meubles. Le changement institutionnel pouvait passer par la réunion de la Chambre des députés, ce qui impliquait l’accord de son président Édouard Herriot. Mais celui-ci refuse de donner son accord, ce qui provoque son transfert en Allemagne. Il n’est libéré qu’en avril 1945 par les Soviétiques. Après un passage par Moscou, Herriot rentre en France. Il confessera avoir trouvé l’accueil des Français glacial à son égard. Son attitude légaliste ne lui est pas pardonnée. Il retrouve tout de même la mairie de Lyon et reprend la présidence du Parti radical en voulant défendre l’héritage de cette Troisième République qui a pourtant failli en 1940.

Écouter l’intégralité de la conférence de Jérôme Henning « Édouard Herriot dans la Seconde Guerre Mondiale » (décembre 2020) sur le site du Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon 

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Édouard Herriot prononçant un discours, 1936. Photographie de presse, négatif sur verre ; 13 x 18 cm (sup.) ou moins. ©WikiCommons

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