Un maire dans la guerre (1914-1918)

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Article de Yann Sambuis, agrégé et docteur en histoire, chercheur associé au Larhra (UMR 5190)


Face aux pénuries et aux problèmes sociaux engendrés par la guerre, Édouard Herriot mène des actions publiques de terrain auxquelles il associe les acteurs économiques privés. Le succès de cette politique municipale de crise permet à Herriot de devenir un homme politique de premier plan.

Dans la carrière lyonnaise d’Édouard Herriot, la Grande Guerre est un moment essentiel. Menant une politique économique et sociale efficace, il écrit dans ses mémoires que « personne, à Lyon, n’a souffert de la faim ou du froid ». Si l’affirmation est sans doute excessive, les succès réels obtenus par le maire de Lyon sont un véritable tournant pour sa carrière locale et nationale.

Gérer la pénurie

Dès l’été 1914, les défis sont pourtant nombreux. Comme toutes les villes de l’arrière, Lyon est confrontée à la pénurie de produits agricoles et d’hommes par la mobilisation, et de combustibles par l’occupation des bassins houillers. La guerre provoque aussi l’arrivée de réfugiés, de blessés et de prisonniers de guerre, dont il convient de gérer les flux et le séjour plus ou moins prolongé. Enfin, le conflit implique une adaptation des appareils productifs, qu’il s’agisse de pallier les pénuries ou de pourvoir aux besoins spécifiques de l’armée.

Le premier enjeu est donc celui de l’approvisionnement de la ville en denrées alimentaires et en combustibles. Dans ce domaine, l’action d’Herriot mêle intervention publique et liberté de marché, mettant en pratique la conception radicale-socialiste de l’économie que Serge Berstein nomme « libéralisme contrôlé ». Refusant l’encadrement autoritaire des prix, le maire crée dès l’entrée en guerre une commission municipale d’approvisionnement où siègent représentants de la mairie et des syndicats des commerces de bouche. La commission fixe les prix pratiqués et centralise les commandes pour acheter à meilleur marché, organisant des convois de viande ou de céréales. Lorsque ce système ne suffit pas, l’intervention de la mairie est plus directe : la ville de Lyon achète et exploite ainsi d’anciennes mines de lignite dans l’Ain et l’Isère, et des coupes de bois dans le Morvan, pour lesquelles on recrute des bûcherons au Canada. C’est un succès, les pénuries étant limitées à Lyon jusqu’en 1917.

Assister les familles

Le second volet de la politique d’Herriot est celui de l’assistance aux populations fragilisées par le conflit.

Pour les familles confrontées au départ des mobilisés, différentes initiatives sont prises. Des restaurants municipaux d’arrondissement produisent des repas complets vendus à prix coûtant, afin de faire économiser le temps de préparation aux mères isolées. Celles-ci peuvent également obtenir lait et repas pour leurs enfants sous condition de ressources, et un ouvroir municipal leur propose de confectionner à domicile, contre rémunération, des uniformes pour l’armée. 

Plusieurs écoles professionnelles destinées à apprendre un nouveau métier aux mutilés de guerre sont ouvertes et produisent notamment des jouets en bois, dont la vente permet à la fois de financer les écoles et de verser une indemnité aux apprentis. Pour les soldats qui ont perdu la vue, Herriot crée une imprimerie municipale de livres en Braille.

Enfin, la mairie centralise l’envoi de colis aux prisonniers, qu’ils soient fournis par les familles ou, à défaut, par la municipalité. Le grand hall de l’Hôtel de ville est ainsi reconverti en salle de préparation de colis alimentaires.

Soutenir l’économie

Si le contexte de guerre le contraint à multiplier les initiatives, le maire ne renonce pas pour autant à la politique de rayonnement entamée avec l’exposition internationale de 1914, ouverte peu avant le déclenchement des hostilités. En 1916, sur le modèles des grands Messe allemands et pour les concurrencer, est ainsi fondée la Foire de Lyon, qui réunit des centaines d’exposants venus de France et de pays alliés.

Pour Herriot, les conséquences de cette politique sont nombreuses. D’une part, les succès obtenus et le recueil de discours qu’il publie sous le titre Agir contribuent sans doute à son accession à un premier poste ministériel en 1916. D’autre part, tandis que la volonté de maintenir un marché libre et de faire rayonner le commerce lyonnais lui assure le soutien de la Chambre de commerce, les mesures d’assistance le rapprochent des milieux catholiques, qui s’y associent volontiers. La politique municipale de guerre contribue ainsi à la convergence des « trois pouvoirs lyonnais » définis par Bruno Benoit – l’Hôtel de ville, l’archevêché, la Chambre de commerce – et à la réalisation d’une première « synthèse herriotiste », symbolisée par l’apaisement des relations entre radicaux et droite modérée à Lyon.

Preuve de l’importance de ce moment dans la carrière d’Herriot, c’est en mettant en cause l’honnêteté de sa gestion du ravitaillement que Georges Clemenceau tente de l’affaiblir en 1918-1919, alors que le maire de Lyon s’affirme comme l’un des nouveaux hommes forts du radicalisme.

À lire :

Beaupré (Nicolas), Charmasson-Creus (Anne), Breban (Thomas) et Giraudier (Fanny), Bibliothèque Municipale de Lyon, 14-18, Lyon sur tous les fronts !, Milan, Silvana Editoriale, 2014

Benoît (Bruno) (dir.), Édouard Herriot en quatre portraits, Presses Universitaires du Septentrion, 2020

Sambuis (Yann), « “Personne à Lyon n’a souffert de la faim ou du froid” :  Le ravitaillement de Lyon pendant la Grande Guerre, laboratoire de la conception radicale-socialiste du libéralisme contrôlé », Histoire(s) Politique(s), https://hipo.hypotheses.org/147, 2021

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Edouard Herriot entouré de 6 bras pour porter tous ses dossiers : gravure sur bois rehaussée de couleurs par Jean Robert (vers 1916, cote : 16FI/520) ©Archives de Lyon

Illustration de bas de page : Caricature extraite de Guignol, journal hebdomadaire humoristique du 18 mai 1918 © Bibliothèque municipale de Lyon

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